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à de telles veilles, à un tel travail, à tant remuer la terre pour leur subsistance que leur nature est toute dévastée et leur espèce réduite à rien. Ils marchent voûtés, et sont faibles, incapables, de se battre et de défendre le royaume. Il n’ont ni armes, ni argent pour s’en procurer. En vérité, ils vivent dans la plus extrême pauvreté et misère ; et cependant ils habitent un des plus fertiles royaumes du monde[1]. »

Le lecteur a déjà vu que jusqu’au commencement du siècle dernier la population de ce royaume manquait de pain la moitié du temps, et portait des peaux comme vêtement, faute de drap. Le chiffre des consommateurs de pain de froment était de 7 millions ; aujourd’hui il est de 20 millions. L’aliment s’est plus amélioré que la population ne s’est accrue. Le pouvoir d’obtenir les nécessités, les conforts et le luxe de la vie, dépend du pouvoir de demander à la nature leur production ; — plus est grand le pouvoir d’association, plus grande aussi sera, comme nous le voyons invariablement, la quantité produite.

« Si l’on met en regard, dit M. Passy, les chiffres afférents aux dix départements les plus peuplés et les plus riches, et les chiffres afférents aux dix départements qui le sont le moins, on trouve que l’hectare rend, en moyenne, de 15 à 20 hectolitres de froment dans les premiers, et seulement de 7 et demi à 11 dans les derniers, et qu’il y a pareille disproportion entre tous les autres produits. Quant aux consommations, elles offrent également des différences fort marquées. La nourriture n’est pas seulement supérieure en qualité dans les départements avancés, elle l’est en quantité, et, tête par tête, on y consomme jusqu’à 30 % en poids de plus que dans les départements arriérés[2]. »

Le même ordre de faits se présente dans tout pays en progrès. Le peuple de Russie est mieux nourri et mieux vêtu qu’à l’époque de Pierre le Grand, — bien que son accroissement eût dû le forcer depuis longtemps à recourir aux sols de qualité inférieure, si la théorie de Ricardo était exacte. Il en a été, et il en est de même pour les populations d’Allemagne, de Belgique, du Danemark et de Suède, — qui sont toutes incomparablement mieux nourries que ne le furent leurs ancêtres, alors que la terre abon-

  1. Cité par Eden, History of the Poor, vol. I, p. 70.
  2. Dictionnaire de l’Économie politique, art. Agriculture.