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émise, s’il avait eu l’occasion d’étudier comment s’y prennent les premiers colons qui sont toujours pauvres ou si la réflexion lui était venue, même dans son cabinet, que les riches sols occupent des relais de fleuves, qu’ils exigent par conséquent de grands efforts combinés pour être défrichés, drainés et rendus aptes à recevoir la charrue. Comme nous l’avons déjà vu, les faits sont tout autres ; le travail de culture a partout invariablement commencé par les sols pauvres ; c’est seulement après l’accroissement de richesse et de population que les riches sols ont été soumis au travail agricole ; la théorie n’ayant donc point de base pour la supporter on pourrait la laisser arriver, en compagnie de milliers d’autres aussi inexactes, à l’oubli qu’elle mérite si bien. Cependant comme elle ne manque pas d’un caractère spécieux et qu’elle a obtenu du crédit dans l’opinion publique, nous la soumettrons à un examen plus suivi, ce qui nous conduira à exposer les nombreuses erreurs contenues dans les déductions de ce que M. Ricardo a supposé une vérité importante et fondamentale[1].

D’abord vient cette assertion : qu’avec l’accroissement de population surgisse la nécessité de recourir à des instruments de pouvoir moindre. — qui rémunèrent de moins en moins le travail. S’il était

  1. Au nombre des premiers et des plus distingués défenseurs des doctrines de Ricardo, il faut compter l’auteur des Templar’s Dialogues, Dans un de ses derniers ouvrages, nous trouvons le passage suivant : « Les tendances d’une loi naturelle telle que celle de la rente sont toujours bonnes à exposer, et c’est ce que Ricardo a fait le premier. D’autres avaient découvert la loi, il a appliqué sa haute sagacité à en déduire les conséquences sur les profits, les salaires et la valeur, et par là sur l’économie tout entière. Il a bien fait, il s’est acquis des droits infinis à notre reconnaissance. Mais il a eu tort de tenir soigneusement à l’écart cet éternel contre-mouvement qui tend, par une action équivalente, à redresser la balance dérangée. Cette réserve a eu pour effet d’introduire le merveilleux dans une science sévère. Autrement il ne faudrait rien moins qu’un miracle pour que cette rente n’eût pas déjà absorbé la totalité de la production du sol, résultat auquel elle tend si manifestement. Notre système social semble contenir en lui-même le germe de ruine. Ou nous devons détruire la rente, c’est-à-dire les causes de la rente, ou la rente amènera notre perte, etc. » Logic of Political Economy, p. 190.
      M. Ricardo enseigne qu’à mesure que la population augmente, la rémunération du travail diminue et le pouvoir d’accumulation s’amoindrit. M. de Quincey lui aurait appris qu’à mesure que la population augmente, le pouvoir d’accumulation s’accroît aussi, et qu’à l’aide du capital accumulé la rémunération du travail s’élève. M. Ricardo ne cache pas le fait ; il ne le voit pas. M. de Quincey le voit, et un peu de réflexion lui eût montré que les faits et la théorie sont tout à fait incompatibles.