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et doit nécessairement se rencontrer sous une des formes variées de la misère, ou de la crainte de la misère qu’éprouve une portion considérable de l’espèce humaine[1]. » L’espèce humaine est ainsi soumise à une pression constante, et se trouve forcément acculée à ce point où il est impossible de se procurer « la nourriture la plus chétive, » et où la misère est forcée d’intervenir, et, — en éclaircissant les rangs, — de maintenir cette espèce dans les limites de la quantité de nourriture. Dans de telles circonstances il ne peut exister d’autre loi que celle de la force, l’homme qui est robuste de corps ou d’esprit asservissant son voisin, s’il est faible sous ces rapports, et agissant ainsi en vertu des lois divines.

La théorie de l’excès de population est née en Angleterre au milieu d’un état effrayant de paupérisme, et elle trouve son principal appui dans les faits que fournit l’empire britannique. Pourquoi les choses doivent-elles se passer ainsi ? parce que la politique anglaise a eu, de longue date, pour but constant d’augmenter le grand obstacle au progrès de l’homme, obstacle qui résulte de la nécessité d’effectuer les changements de lieu de la matière. Partout où il existe, la quantité de subsistances est la moins considérable et la population la plus surabondante. A mesure qu’il s’amoindrit, la quantité de subsistances augmente, l’homme acquiert plus de valeur, et l’on arrive à reconnaître, de plus en plus, que la proportion des trésors de la nature est infinie et n’attend que la demande de leur production.

C’est précisément à l’instant où cet obstacle disparaît que les prix des matières premières et des produits achevés, tendent de plus en plus à se rapprocher, fournissant ainsi la preuve la plus parfaite d’une civilisation en progrès. A mesure que ces prix s’équilibrent, le pouvoir du travailleur sur la nature et sur lui-même s’accroît, mais le pouvoir des autres hommes sur lui diminue aussi constamment ; et c’est ainsi qu’il passe de la condition d’esclave à celle d’homme libre. Le système anglais ayant pour base l’idée de la terre à bon marché, du travail à bon marché, du coton à bon marché, du blé à bon marché, et de la toile et du fer à un prix élevé, plus ce système est mis en pratique, plus il y a tendance à la diminution dans le pouvoir de l’homme sur la nature, à sa soumission

  1. Essai sur le principe de population, liv. I, chap. 1er.