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les divers individus qui vivent du trafic et interviennent dans les transactions du commerce. L’Irlandais élève des poulets qui se vendent à Londres plusieurs schell. sur lesquels il reçoit quelque pence ; et c’est ainsi que le sucre qui a rapporté au nègre libre de la Jamaïque un penny, peut payer dans l’Ouest de l’Irlande une paire de poulets, ou une douzaine de homards[1]. Après avoir étudié ces faits, le lecteur ne sera pas embarrassé pour comprendre les fâcheux effets que produit sur la valeur de la terre et du travail l’absence de marchés, tels qu’ils s’en forme naturellement dans les pays, où, conformément aux doctrines d’Adam Smith, on laisse la charrue et le métier à tisser se mettre en contact réciproque. Il y a aujourd’hui plus de 70 ans que ce grand homme dénonçait, comme cause d’une excessive iniquité, le système qui tendait à imposer par la force l’exportation des matières premières ; et sans aucun doute l’histoire de la Jamaïque et de la Virginie, de l’Irlande et de l’Inde, depuis ce temps, ne lui fourniraient, s’il vivait aujourd’hui, que bien peu de raisons de renoncer aux opinions qu’il exprimait alors.

§ 4. — Cause réelle de la décadence de l’Irlande.

On a coutume d’attribuer la situation actuelle de l’Irlande à l’augmentation rapide de la population ; et l’on met celle-ci à son tour sur le compte de la pomme de terre, dont l’usage excessif, ainsi que M. Mac Culloch l’apprend à ses lecteurs, a abaissé le niveau des moyens d’existence, et a tendu à accroître la multiplication des hommes, des femmes et des enfants. « Les paysans de l’Irlande, vivent, dit-il, dans de misérables huttes en terre, sans fenêtre ni cheminée, on aucun autre objet qu’on puisse appeler ameublement », et se distinguent de leur compagnons de tra-

  1. La perte énorme inhérente à l’intervalle immense qui sépare le consommateur du producteur nous est révélée, en ces termes, par le capitaine Head :
      « Les poulets valent environ 5 pence la paire ; les canards 10 pence. Une paire de jeunes oies 10 pence ; et lorsqu’elles sont vieilles, pas moins d’un schelling ou 14 pence ; et les dindons, demandai-je ? Je ne puis vous dire, nous n’en avons pas beaucoup dans le pays, et je ne voudrais pas faire un mensonge à votre honneur. Du poisson, peu ou point. Un beau turbot, pesant 30 liv., se vend 3 schell. On a une douzaine de homards pour 4 pence. Les soles pour 2 ou 3 pence la pièce. L’autre jour j’ai acheté pour un gentleman un turbot pesant 15 livres et l’ai payé 18 pence. » (Promenades et conversations en Irlande, p. 178.) — Combien payez vous ici pour votre thé et votre sucre ? demandai-je. — Très-cher, monsieur, répondit-il, Nous payons le thé 5 schell., 5 pence la cassonade et 8 pence le sucre blanc ; c’est-à-dire si nous n’en achetons qu’une livre. (Ibid., p. 187.)