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terre ; et les résultats obtenus furent précisément ceux auxquels on pouvait s’attendre avec raison. La demande d’efforts humains, intellectuels ou physiques, cessant graduellement d’avoir lieu, des millions d’individus se trouvèrent acculés à la position de consommateurs de capital sous la forme d’aliments, en même temps qu’ils étaient complètement hors d’état de vendre le travail qui en était le produit. Quelque part que se transportât le voyageur, il trouvait des centaines et des milliers d’individus désireux de travailler, mais n’ayant pas de travail ; tandis que des dizaines de milliers erraient à travers l’Angleterre, cherchant à vendre leur travail, pour gagner le maigre salaire qui devait leur permettre de payer leur fermage dans leur pays. Tous les travaux leur étant interdits à l’exception d’un seul, ils étaient contraints de dépenser, en pure perte, plus de force cent fois qu’il n’en eût fallu pour payer tous les produits des manufactures anglaises qu’ils consommaient aujourd’hui, et c’est ainsi qu’ils devinrent, ainsi que s’exprime le Times de Londres, « les fendeurs de bois et les tireurs d’eau du Saxon[1]. »

Les écrivains anglais nous affirment que l’Irlande a manqué du capital indispensable pour l’industrie manufacturière ; mais il doit toujours en être ainsi à l’égard des pays purement agricoles. Dans un pays quelconque, il ne faut, pour rendre le capital abondant, que l’existence de cette puissance d’association qui permet à tout individu de trouver un acheteur pour son propre travail, et de devenir acheteur de celui des autres. Le pouvoir de rendre des services corporels ou intellectuels résulte d’un capital consommé, et il constitue le capital que le travailleur peut offrir en échange. Lorsque la diversité des travaux existe, le mouvement de la société est rapide, et tout ce capital reparaît sous la forme de denrées ; mais lorsqu’il n’y a d’autre occupation que l’agriculture, le mouvement est lent, et la plus grande partie se trouve perdue. Des millions d’Irlandais

  1. « Il existe des nations d’esclaves, mais par suite d’une longue habitude, elles ont perdu la conscience du joug de l’esclavage. Il n’en est pas de même des Irlandais, à qui ont en eux-mêmes le sentiment énergique de la liberté, et sentent parfaitement le poids du joug qu’ils ont à subir. Ils sont assez intelligents pour connaître l’injustice qui leur est faite, par les lois faussées auxquelles leur pays est soumis ; et tandis qu’ils endurent eux-mêmes toutes les extrémités de la misère, ils ont souvent sous les yeux, dans le genre de vie de leurs landlords anglais, le spectacle du luxe le plus raffiné que l’esprit de l’homme ait encore imaginé. » (Kolb. Voyages en Irlande.)