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qui payait une rente et des impôts, s’est trouvé hors d’état de lutter contre le colporteur ambulant, qui ne payait ni l’une ni les autres[1]. Le pauvre cultivateur se voit donc dans l’impossibilité d’échanger ses produits, quelque faibles qu’ils soient, excepté à l’arrivée fortuite d’une caravane, qui généralement se montre bien plus disposée à absorber le peu de numéraire qui est en circulation qu’aucun des produits plus encombrants, et de moins de valeur, de la terre.

Ainsi que cela arrive d’ordinaire dans les pays purement agricoles, la masse entière des cultivateurs est endettée sans espoir de pouvoir rembourser, et le prêteur d’argent les rançonne tous. S’il vient en aide au paysan avant la moisson, il doit percevoir un intérêt exorbitant et se faire payer en produits, en prélevant un escompte considérable sur le prix de marché. La faiblesse et la pauvreté qui existent parmi les classes agricoles, se retrouvent dans toutes les sociétés où l’on n’a pas laissé l’agriculture se fortifier elle-même, au moyen de cette alliance naturelle, entre la charrue et le métier, entre le marteau et la herse, si admirée d’Adam Smith ; et c’est par suite de la ressemblance réciproque qui se rencontre, sous ce rapport, entre le Portugal, la Jamaïque et la Turquie, que nous pouvons constater aussi les causes de leur ressemblance dans ce fait, que la valeur de l’individu y diminue constamment, et que lui-même y devient, de jour en jour, plus asservi à

  1. « Il est impossible de voir arriver la caravane polyglotte à son campement pour la nuit, de voir décharger et empiler l’un sur l’autre des ballots venus de pays si divers, de parcourir de l’œil leurs enveloppes mêmes, les signes et les caractères étranges dont ils sont marqués, sans être étonnés du démenti si éloquent qu’un pareil spectacle donne à nos idées préconçues, sur le despotisme aveugle et l’absence générale de sécurité en Orient. Mais lorsqu’on observe avec quelle avidité nos produits sont recherchés, la préférence accordée maintenant aux mousselines de Birmingham sur celles de l’Inde, aux toiles perses de Glasgow sur celles de Golconde, aux aciers de Sheffield sur ceux de Damas, aux châles de laine anglaise sur ceux de Cachemire ; et lorsqu’en même temps les facultés énergiques de l’esprit commercial de ces marchands se déploient devant nous d’une façon si réelle, il est assurément impossible de ne pas regretter qu’un abime de dissension ait si longtemps séparé l’Orient de l’Occident ; il est également impossible de ne pas se livrer à l’espérance anticipée d’un trafic avec l’Orient, développé sur une immense échelle et de tous les avantages qui suivent, jaillissant rapidement, le réveil du commerce. » (Urquhart. La Turquie, ses ressources, ete., t. II, 2o part., pp. 21-22.) — Quoi qu’il en soit, toutes les parties de l’ouvrage de M. Urquhard ne font que constater la décadence du commerce, résultant de l’ascendant croissant du trafic et des trafiquants.