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il y a quelques années, la construction du chemin de fer. La route à barrière de péages, de Baltimore à Cumberland, dont le parcours est de 180 milles, était, il n’y a que quarante ans, une œuvre d’une telle importance, qu’on fit appel au trésor fédéral pour supporter les frais de construction ; mais aujourd’hui le nombre des chemins de fer s’accroît si rapidement que la population de la vallée de l’Ohio peut déjà choisir entre ces chemins si nombreux, lorsqu’elle veut visiter les villes de l’Océan Atlantique. Le Santa-Maria, ce grand navire de Christophe Colomb, ne jaugeait que 90 tonneaux, et cependant la construction d’un pareil bâtiment était, alors, une affaire bien plus sérieuse que ne l’est, aujourd’hui, celui d’un steamer qui accomplirait le même voyage en moins de semaines qu’il ne fallut de mois à Colomb. Là, comme partout, le premier pas exige les efforts les plus considérables et donne les résultats les plus faibles. A chaque pas nouveau, la valeur de l’homme augmente et celle des denrées diminue ; et nous constatons aussi un accroissement dans la richesse dont il peut disposer, accroissement qui lui donne de nouvelles facilités pour en acquérir une nouvelle.

Jusqu’à ce jour nous n’avons encore fait qu’un pas dans cette direction. Le pouvoir de devenir utile à l’homme est une force qui se trouve à l’état latent dans toute la matière qui l’environne ; mais partout le développement de cette force est retardé par la difficulté inhérente à la réalisation des changements de lieu. Le sauvage est forcé d’abandonner sur le sol, pour être dévorée par les oiseaux de proie, la partie la plus précieuse du gibier que sa chasse lui a procuré ; tandis que l’individu qui vit en société avec son semblable peut utiliser non-seulement la chair, mais encore la peau, les os et même les parties non encore digérées, contenues dans l’estomac. L’homme isolé abat l’immense palmier pour obtenir le chou qui couronne son sommet ; laissant le tronc devenir la proie des vers ; mais l’homme vivant en société utilise non-seulement le tronc, mais les branches, l’écorce et même les feuilles. Les individus peu nombreux et disséminés qui cultivent les terrains ingrats d’un nouvel établissement, portent leurs denrées alimentaires et leur laine à un marché éloigné, perdant ainsi l’engrais et ajoutant aux frais de transport l’épuisement du sol, et le temps d’arrêt d’activité qui en résulte pour leur terre, tandis que l’homme asso-