Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 1.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant de ses pirateries et du butin qu’il en avait recueilli ; ils nous offrent le sage Ulysse, comme ne se sentant nullement atteint dans son honneur, lorsqu’on lui demande s’il est venu en qualité de trafiquant ou de pirate. Si nous tournons ensuite nos regards sur une période de civilisation correspondante dans l’histoire de l’Europe moderne, nous trouvons les Norvégiens, rois de la mer, ainsi que leurs sujets, s’occupant tantôt de recueillir des richesses (c’est ainsi qu’ils appellent naïvement leurs brigandages sur mer et sur terre), tantôt de transporter des produits d’un pays à un autre, ces deux occupations étant tenues en aussi haute estime l’une que l’autre : enfin la même liaison entre toutes deux apparaît encore dans les histoires de Hawkins, de Drake et de Cavendish, dans celle du trafic des esclaves, depuis son origine jusqu’à sa cessation[1] ; dans celle des boucaniers et des colonies des Indes occidentales ; dans les guerres des Français et des Anglais en Amérique, aux Indes occidentales et orientales ; dans la fermeture de l’Escaut, dans les guerres de l’Espagne et de l’Angleterre, dans les blocus sur le papier résultant des guerres de la révolution française, dans l’occupation de Gibraltar, transformé en dépôt de contrebande[2], dans les dernières guerres de l’Inde, et particulièrement dans celle entreprise tout récemment

  1. « Il n’existe aucune nation, en Europe, qui se soit plus complètement souillée d’un pareil crime que la Grande-Bretagne. Nous avons arrêté les progrès naturels de la civilisation en Afrique. Nous lui avons ravi l’occasion de s’améliorer. Nous l’avons retenue dans les ténèbres de l’ignorance, de la servitude et de la cruauté. Nous y avons renversé complètement l’ordre de la nature. Nous y avons augmenté tout ce qu’il y avait de barbarie naturelle et donné à chaque individu des motifs pour commettre, au nom du trafic, des actes d’hostilité et de perfidie perpétuelles contre ses voisins ; c’est ainsi que la perversion du commerce anglais a porté la misère, au lieu du bonheur, sur toute une partie du monde ; mentant aux vrais principes du commerce, oublieux de notre devoir, quel mal presqu’irréparable nous avons fait à ce continent ! Jusqu’à ce jour nous avons obtenu tout juste assez de connaissances sur ses productions, pour apprendre qu’il y avait là des ressources commerciales dont nous avons arrêté le cours. » (W. Pitt.)
  2. « Gibraltar fut tout ce que l’Angleterre gagna à cette guerre, et comme ce vol contribua, en grande partie, à assurer sa défaite et à établir Philippe V sur le trône d’Espagne, nous pouvons considérer Gibraltar comme la première cause de ces guerres ruineuses qui, entreprises sans autorisation légitime et continuées à l’aide d’anticipations sur les revenus futurs, nous ont inoculé ces maladies sociales qui ont contrebalancé et neutralisé les progrès de l’industrie manufacturière dans les temps modernes. Le traité d’Utrecht consacra cette possession de Gibraltar, mais sans y attacher aucun droit de souveraineté, et à la condition qu’aucune contrebande ne s’établirait par là en Espagne. Cette condition, nous la violons journellement ; nous faisons acte de souveraineté en tirant le canon dans les eaux mêmes