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d’une part les mangeurs de terre et de l’autre les mangeurs d’hommes, tous deux appartenant à cette période de la société où l’espèce homme est la moins abondante, et peut exercer à son gré le droit de choisir entre les terrains fertiles et les terrains ingrats qui sont alors si abondants. Mais comme l’homme n’est que l’esclave de la nature, elle lui offre, lorsqu’il veut occuper les terrains fertiles, des obstacles assez complètement insurmontables, pour le forcer, ainsi que nous l’avons vu, à commencer en tout pays par les terrains les plus ingrats, ceux dont les qualités naturelles les rendent moins propres à rémunérer le travailleur. Les subsistances ont donc une grande valeur, parce qu’on ne se les procure qu’au prix d’efforts infinis.

Le gibier devenant plus rare chaque année, les famines deviennent plus fréquentes et entraînent avec elles la nécessité de changer de lieu. Ce changement, à son tour, engendre la nécessité de déposséder les heureux possesseurs des lieux où l’on peut se procurer plus facilement les subsistances ; et c’est ainsi qu’il arrive que le manque de pouvoir sur la nature force l’homme, en tous pays, de devenir le voleur de son semblable. La terre où il était né n’ayant pour lui que peu d’attrait, — son séjour n’y ayant guère été qu’une suite constante de souffrances par suite du manque d’aliments, — il est toujours prêt à changer de demeure pour se mettre en quête de pillage, ainsi que nous le voyons se pratiquer chez les Comanches et autres tribus sauvages de l’ouest. Il en a été de même partout. L’histoire du monde, lorsqu’on parcourt ses annales, nous montre les peuples résidant sur les terrains plus élevés et plus ingrats, ceux des monts Himalaya, les premiers Germains, les Suisses et les Highlanders, pillant ceux auxquels leurs habitudes paisibles avaient permis d’accumuler la richesse et de cultiver des terrains plus fertiles.

Dans les premiers âges de la société, comme il n’existe guère de propriété d’aucune espèce, nous constatons que partout les hommes forts se sont approprié de vastes portions de terre, tandis que les autres hommes, les femmes et les enfants, ont été transformés en propriété, réduits en esclavage et forcés de travailler pour des maîtres qui remplissent l’office de trafiquants, se plaçant entre ceux qui produisaient et ceux qui voulaient consommer ; et ravissant tout le fruit des travaux des premiers, en même temps qu’ils