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terrain. Si parfois il se procurait une petite provision de nourriture animale, il y attachait une valeur très-élevée, sachant bien quels obstacles considérables il avait constamment rencontrés sur son chemin pour arriver à ce résultat ; et c’est ici que nous trouvons la cause de l’existence, dans l’esprit humain, de cette idée de valeur, qui n’est tout simplement que l’appréciation faite par nous de la résistance qu’il nous faudra vaincre, avant de pouvoir entrer en possession de l’objet désiré. Cette résistance diminue avec tout accroissement dans la puissance qu’acquiert l’homme de disposer des services toujours gratuits de la nature : aussi voyons-nous, dans toutes les sociétés en progrès, une augmentation constante dans la valeur du travail lorsqu’on l’évalue en denrées, et une diminution dans celle des denrées lorsqu’on les évalue d’après le travail.

Au début, il pouvait obtenir la nourriture végétale, au prix d’un travail moindre qu’il ne lui en fallait pour se procurer une nourriture animale ; mais maintenant qu’il possède un arc, il peut obtenir un surcroît de viande avec moins d’efforts que n’exigerait la possession d’un fruit. Immédiatement il s’opère un changement de valeur ; celle des oiseaux et des lapins baisse, comparée à celle des fruits, et la valeur de ceux-ci hausse, comparée à celle des premiers. Cependant il ne peut encore atteindre le poisson, quoiqu’il abonde dans la mer, et tout près de lui ; il donnerait peut-être volontiers une douzaine de lapins pour une seule perche. Ses facultés inventives sont maintenant mises en éveil par le désir de changer de régime, en même temps que la facilité plus grande qu’il possède de se procurer des provisions de nourriture lui permet de consacrer plus de temps, au perfectionnement des instruments à l’aide desquels il disposera des services de la nature. Il convertit un os en hameçon, et l’attache à une corde semblable à celle dont il a déjà fait usage dans le confection de son arc, et il peut alors se procurer du poisson, même avec moins de peine qu’il ne lui en faudrait pour se procurer des quantités semblables d’autres espèces d’aliments Immédiatement, le poisson diminue de valeur, comparé avec celles-ci, et celles-ci, à leur tour, augmentent, comparées avec le poisson ; mais la valeur de l’homme augmente par rapport à toutes choses, à raison de l’empire qu’il a conquis sur les diverses forces naturelles. Dans le principe, toute sa journée suffisait à