Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 1.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommaient joyeusement des provisions surabondantes. L’arbre lui aurait fourni les matériaux d’une habitation, s’il eût possédé une hache pour l’abattre, ou une scie pour en faire des planches. Privé de ces instruments, il se trouve contraint à se creuser dans la terre un trou toujours humide et toujours exposé au vent, tandis que le mâle de l’abeille peut se construire l’habitation la plus parfaite.

Inférieur à tous les êtres de la création, sous le rapport des qualités physiques nécessaires à la conservation de l’individu, et de l’instinct qui pousse ceux-ci à faire usage des facultés dont ils ont été doués, l’homme est de beaucoup leur supérieur, par ce fait, qu’il a reçu en don l’intelligence, pour apprécier les forces naturelles dont il est entouré, et des bras qui lui permettent de mettre à exécution les idées que lui suggère son cerveau. S’il peut façonner un caillou pour frapper l’oiseau, il s’aperçoit que la loi de gravitation mettra celui-ci à sa portée. Après des efforts répétés, l’élasticité du bois lui permet de détacher une branche de l’arbre, et bientôt il met en activité les propriétés de pesanteur et de dureté de celui-ci, en faisant tomber sous ses coups des animaux sauvages d’une force bien supérieure à la sienne. Connaissant donc ainsi l’existence de l’élasticité, il courbe un morceau de bois, et bientôt il utilise la ténacité de la fibre animale qu’il convertit en une corde, et celle-ci sert à compléter un arc. Il construit un canot, et, grâce à lui, il peut naviguer et se transporter d’un point à un autre à la poursuite du gibier ; et c’est ainsi que, par degrés, on le voit arriver à dominer les diverses forces qui existent toujours dans la nature, et qui n’attendent que son appel pour s’enrôler à son service. A chaque pas qu’il fait, il constate une diminution dans le travail nécessaire pour le mettre à même de se procurer la nourriture, les vêtements et l’abri dont il a besoin pour soutenir et fortifier ses facultés physiques, en même temps que ses facultés intellectuelles se développent de plus en plus.

Dans les premiers temps de son séjour sur l’île, travaillant avec le seul secours de ses bras, Robinson était forcé de ne compter que sur les fruits que la terre produit spontanément, et pour s’en procurer une quantité suffisante, il lui fallait déployer une activité presque incessante, et parcourir des étendues immenses de