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préface

tente. Vous seul, au XIXe siècle, l’avez partiellement réalisée dans des envolées merveilleuses. Puissé-je, à mon tour, devenir assez sûr de mon cœur, de ma pensée et de ma plume pour la regarder en face, mais l’heure n’est pas sonnée… et je retombe à ce premier livre où mon idéal est à peine pressenti.

Il a pour seul mérite, peut-être, de retracer avec sincérité ce que fut en son auteur l’éveil de l’amour. De la mélancolie vague des tendresses d’enfant à la douloureuse passion qui constitue ma lente épreuve, vous verrez mon cœur s’ouvrir lentement à la splendeur d’aimer, et de n’aimer pas un être seulement, mais l’Humanité entière. Si quelques-uns s’étonnaient de lire entre deux pièces lyriques : à propos de couvent, ou les strophes à la belle châtelaine c’est qu’ils comprendraient mal la fantaisie d’un poète libre qui veut rester sincère, au fil des jours, et faire œuvre d’un art différent, selon qu’il traduit une impression passagère ou une émotion profonde.

Ceux-là qui prétendent n’abandonner jamais leur grand manteau d’azur et chanter toujours sur le même ton, énervent et lassent, car ils mentent. Le vrai poète ne saurait apparaître toujours comme en extase, car l’extase ne commence qu’aux rares et inoubliables heures de la vie où nous sentons vraiment descendre en nous la beauté.

J’ai pris avec la tradition poétique quelques libertés, telles que l’emploi de rimes l’une au singulier, l’autre au pluriel. Ces libertés, vous vous les êtes toujours, par un scrupule d’admirable artiste, refusées à vous-même. Vous voudrez bien considérer que je me les suis seulement permises lorsqu’elles me fournissaient un moyen d’exprimer plus largement ma pensée, sans compromettre ni le rythme des vers, ni la syntaxe française.

Vous le savez enfin, mon cher maître, nous ne publions nos poèmes qu’avec la secrète espérance d’être compris de ceux qui nous liront ! Cette espérance n’eût peut-être pas été en moi assez forte pour me décider à donner ce livre, si je n’avais eu déjà la douce certitude que vous aimiez et mon but, et mes vers, ce dont vous est plus reconnaissant qu’il ne saurait l’écrire votre respectueux et affectionné,

Jean CANORA.
10 nov. 1905, Paris.