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LES BELLINI.

Quand je dis « sur ses rives » j’oublie que., par un procédé fréquent au xve siècle, Gentile utilise son cadre, à l’avant-plan, pour y placer une série de personnages qui n’eussent pu être mis ailleurs en évidence. La femme et la jeune fille à gauche, ainsi que le groupe d’hommes à droite, sont évidemment des portraits, occupant la place réservée aux « donateurs ». Ce dernier groupe surtout est frappant (p. 57). Quoique les modèles s’y présentent de profil, l’artiste y a développé à merveille son génie de caractérisation. Voyez comme les traits fins du vieillard, en tête du groupe, s’alourdissent chez le deuxième personnage qui, d’après la ressemblance, pourrait bien être son fils. La physionomie hautaine du troisième contraste de même avec le type jovial et quelque peu jésuitique du quatrième, dans lequel on a voulu reconnaître les traits du peintre.

La première des dames, à genoux sur le quai, qui se distingue par la couronne quelle porte au-dessus de son voile, est, sans doute, Catarina Cornaro, ex-reine de Chypre, que la République entourait d’une grande considération. Nous possédons d’ailleurs un portrait de la célèbre dame par Gentile, actuellement au musée de Budapest. Elle y porte exactement le même costume qu’ici, mais semble assez bien plus âgée. On chercherait en vain à reconnaître, dans ses traits fatigués, l’image de la fringante beauté que les peintres du xvie siècle, et notamment le Titien, célébrèrent avec tant d’éclat. Mais Gentile ignore la flatterie ; il croit aux miracles, mais pas aux romans. Il n’allège en rien les chairs de la matrone et accuse