voit Groix voit sa joie, dit un proverbe. Certes. Mais il ne m’a fallu que quelques jours pour comprendre que ma joie à moi était restée sur ce plateau d’argile et de boue où nuit et jour, avec mes poilus, je monte la garde au front de la France. Nous sommes gais, ici. Là-bas tout me semblait triste à la mort, et les maisons, et la chanson de la mer, et la plainte des barques. Ils sont là les gentils dundées, alignés dans un coin de la rade, poignants à voir dans leur abandon. Car on sent qu’ils attendent, eux aussi. Ils attendent depuis des mois et des mois les matelots aux terribles carrures qui les menaient jadis crever le ventre des tempêtes, sur les routes incomparables de la mer d’Occident. Combien ne les reverront jamais ? Vue de l’arrière, la guerre est dure infiniment.
Ici aussi, parfois. Un chagrin m’attendait à mon arrivée : un de mes hommes, blessé mortellement par un schrapnell en travaillant dans la tranchée, est mort le jour de mon retour. Deux autres, blessés. Ce sont mes premières pertes depuis que je suis là. Il a été dur ce Noël.
Voici donc que vous allez être soldat. C’est un terrible métier en ce moment-ci, mais c’est si beau ! Grandeur et Servitude ! En bas de l’échelle, c’est la servitude qui apparaît surtout, vous le sentirez comme tous. Alors, quand on est de taille, on élève ses pensées au-dessus de ce qui est corvées, vexations, injustices, pour songer à la souffrance de la Terre envahie. Vous serez de taille, j’en suis sûr.
Pour être admis à suivre un cours d’élève-aspirant, il faudra vous adresser au bureau de votre compagnie. Sans doute il paraîtra au rapport une note à ce sujet ; on demandera des candidats, et vous n’aurez qu’à donner votre nom. Un petit examen de « culture générale », dans quelque terrain vague entre le certificat d’études et le brevet élémentaire, et vous serez admis à suivre un peloton. Là il faudra vous distinguer, ce qui ne sera pas difficile. L’examen d’entrée comporte des interrogations écrites en