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JOURNÉE I, SCÈNE II.


Scène II

Un salon dans le palais.
Entre LAURA.
laura.

Ah ! que le jour qui précède une heure de douce espérance est lent à disparaître !… Mais enfin, voilà que le jour cède la place à la nuit, qui peu à peu déploie ses ailes dans les ténèbres et les étend comme un noir manteau sur l’espace.. Ah ! Frédéric, si l’heure de nous voir était déjà venue, comme mes ennuis mortels trouveraient auprès de toi consolation et soulagement !… Mais que veulent dire toutes ces manières étranges par lesquelles la duchesse essaye de dissimuler je ne sais quel secret dépit ? Je vais passer dans son appartement avant de me rendre au jardin où m’appellent tout à la fois et mon chagrin et mon amour. J’y trouverai deux avantages : d’abord elle ne s’informera pas de moi ; et ensuite, j’essayerai par là de distraire un peu ma pensée. Si la compagnie n’abrège point les heures, elle les fait quelquefois paraître moins longues.


Entrent LA DUCHESSE et FLORA. Flora porte des flambeaux.
la duchesse.

Laura, ma cousine, pourquoi donc ne vous ai je point vue de la journée ? mon amitié ne méritait pas cela.

laura.

Je vous remercie, madame, d’avoir bien voulu vous apercevoir de mon absence. Mais un léger accident m’a retenue chez moi ; et quoique je n’en sois pas bien remise, je n’ai point voulu me retirer sans baiser votre main. Je venais, madame, m’informer comment vous vous trouvez.

la duchesse.

Je suis fâchée que le soin de votre santé ait été la cause de votre absence ; mais je me réjouis également, Laura, que vous soyez venue me voir, quoiqu’un un peu tard. J’ai besoin de vous pour cette nuit, et je vous garde avec moi.

laura.

Mais considérez, madame…

la duchesse.

Que voulez-vous que je considère ? N’êtes-vous pas restée mille fois avec moi par amitié ? Restez une fois pour m’obliger. C’est un secret que je ne puis confier qu’à vous seule.

laura, à part.

Quel ennui ! Si je réplique, je donne lieu au soupçon. Ô ciel ! protège-moi !

la duchesse.

Que dites-vous ?