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LE SECRET À HAUTE VOIX.

donc que pour aujourd’hui le dérangement de ma santé me permet de m’excuser auprès de vous, et que…

la duchesse.

Je n’admets aucune excuse. L’absence ne sera pas longue. Demain vous serez de retour. Remarquez, je vous prie, que je ne vous confie rien moins que le soin de mon honneur. Ne me répliquez donc pas ; prenez cette lettre et préparez-vous à partir sur-le-champ. Je vous répète qu’il importe que mon message soit rendu par vous-même. La suscription vous dira à qui il faut le remettre, et en quel endroit il faut aller. Vous m’apporterez la réponse. Adieu.

Elle sort.
frédéric.

Eh quoi donc, ô ciel ! dans cette même nuit où la belle Laura m’a permis de lui parler, il ne se trouvera pas une seule étoile qui me soit favorable ? Que faire ? et comment concilier mon amour et ma loyauté ?


Entre FABIO.
fabio.

Seigneur, ne vous semble-t-il pas que le jour est bien long ?

frédéric.

C’est le diable qui t’amène ici. Pars à l’instant, Fabio, et selle-moi deux chevaux.

fabio.

Il est donc venu une autre lettre, soit par le feu, soit par les airs ?

frédéric.

Oui, il m’en est venu une autre.

fabio.

Eh bien ! vous n’avez qu’à y faire une légère correction, et vous serez enchanté comme ce matin. Relisez-la, et vous cesserez de vous plaindre.

frédéric.

Je n’ai pas encore seulement lu la suscription.

fabio.

Lisez-la, pour voir si elle s’accorde avec ce que vous avez d’abord soupçonné.

frédéric.

Je verrai toujours où l’on m’envoie. (Il regarde la suscription.) Au duc de Mantoue !… Je ne suis pas moins confus… Sans doute elle aura reconnu le duc, et elle aura voulu m’avertir ainsi qu’elle sait l’espèce de trahison avec laquelle je l’ai reçu chez moi. En effet, ne m’a-t-elle pas dit d’un ton piqué, que cela importait à son honneur ?… Ô ma folle pensée ! je n’échappe à un danger que pour tomber dans un autre.