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JOURNÉE I, SCÈNE I.

une dame-revenant[1] qui habite votre pensée, et que vous aimez mentalement. Aussi voudrais-je vous supplier de m’accorder une grâce ?

frédéric.

Quelle grâce ?

fabio.

Que, puisque c’est une dame qui vit dans votre imagination sans avoir plus de corps ni plus d’âme que vous n’avez bien voulu lui en donner, du moins ses lettres nous arrivent toutes pleines d’amour et de tendresse ; car ce serait par trop ennuyeux que, pouvant et devant nous traiter avec bonté, elle nous traitât avec mépris.

frédéric.

Éloigne-toi.

fabio.

Qu’importe à la lettre ?

frédéric.

Rien, si l’écriture elle-même est déguisée. Mais, toujours, éloigne-toi.

fabio.

Je suis vraiment un écuyer du purgatoire, car je vis dans une sorte de milieu entre le paradis et l’enfer.

frédéric, lisant.

« Mon cher seigneur, mon malheur est au comble. Mon père force ma volonté. Il traite malgré moi de mon mariage, et doit demain signer les accords. » (À part.) Ah ! malheureux ! je n’ai plus, d’ici à demain, que quelques moments à vivre ! (Appelant.) Fabio !

fabio.

Qu’y a-t-il ?

frédéric.

Je vais bientôt mourir.

fabio.

Vous aurez tort, si vous pouvez l’éviter ; car, je vous l’assure, ce n’est pas une chose de bon goût.

frédéric.

Comment l’éviter, lorsque cette lettre même est ma sentence de mort ?

fabio.

C’est bien facile. Puisque vous tenez votre sentence à la main, vous n’avez qu’à y mettre une petite apostille qui soit un peu plus humaine.

frédéric, à part.

Quoique sans vie et sans âme, continuons : (Il lit.) « Et ainsi, bien que je doive exposer par là le secret de notre malheureux

  1. Allusion à la comédie intitulée : la Dame-Revenant (la Dama duende).