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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

ouvrir pour une reine injuste et tyrannique, celui-là pourra l’ouvrir encore pour une reine ingrate.

Il sort.
anne.

Quel ennui, quel supplice, au milieu des grandeurs, de voir sans cesse devant ses yeux celui à qui l’on en est redevable ! et surtout quelle humiliation, quel déplaisir mortel d’entendre ce bienfaiteur indolent vous reprocher à chaque instant la gloire où vous êtes !… Il faut que je me délivre de Wolsey. Il m’appelle ingrate… il me menace… Non, il ne me chassera point du palais. C’est moi, oui, ce sera moi qui abattrai son orgueil.


Entre LE ROI.
le roi.

Voici une lettre que j’ai reçue de Catherine, et j’ai voulu vous la remettre sans l’avoir lue auparavant. Ouvrez-la : mon amour et mon attachement vous devaient cette preuve de confiance. Ce sont sans doute les plaintes d’une femme abandonnée.

anne.

Pourquoi me proposer de voir une chose aussi pénible ? — Non, je vous rends cette lettre fermée, lisez-la, et répondez-y, et montrez de la pitié. N’oublions pas ce qu’a été jadis cette pauvre femme. N’oublions pas qu’elle a été votre épouse et ma reine.

le roi.

Je suis heureux de trouver en vous tant de générosité. Que vous êtes bonne et sensible ! et combien peu vous connaissent ceux qui vous croient un cœur vindicatif et méchant !… Je vous ai tant de reconnaissance de votre procédé, que pour vous complaire je bannis dès aujourd’hui l’infante Marie de mon palais et de mon cœur. Elle ira partager la vie de sa triste mère. Je vous montrerai ma réponse, puisque vous m’autorisez à lui écrire.

anne.

Certainement, mais je ne désire la voir que pour juger de la façon dont vous lui écrirez.

le roi.

Vous n’y trouverez que de vaines protestations destinées à consoler un cœur malheureux.

anne, à part.

Je veux voir cette lettre… pour y glisser du poison. — (Haut.) Je vous remercie, monseigneur, de l’idée que vous avez eue de renvoyer l’infante. Je vous donnerais pour cela seul mille caresses. Mais j’aurais un plus grand plaisir et aussi une plus grande reconnaissance, si aujourd’hui votre disgrâce frappait une autre personne.

le roi.

Et qui pourrais je épargner, alors que je bannis loin de moi ma propre fille ? Parlez, qui a pu vous affliger ?