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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

le roi.

Ne repoussez pas mon amour. — Ah ! si j’étais libre, alors même que le ciel m’eût fait le maître unique du monde, je serais venu avec empressement mettre à vos pieds mon amour et mon sceptre. Mais, hélas ! je ne puis… je suis marié.

anne.

Voilà ce qui justifie ma conduite.

le roi.

Vous me donnez la mort… accordez-moi, du moins, un moment votre main.

anne.

Je ne puis… vous êtes marié… et il m’est défendu de vous aimer. — Dans une situation si cruelle, il faut que je m’éloigne… car mon silence vous dirait peut-être ce que ma bouche et mes jeux s’efforcent de vous taire. — Adieu, ô mon roi, mon seigneur et mon maître ; je ne veux pas que mes larmes excitent votre attendrissement. Le ciel voit mon cœur.

Elle sort.
le roi.

Le ciel voit ma douleur et mon désespoir.


Entre WOLSEY.
wolsey, à part.

Comme il est demeuré triste et pensif ! Approchons. Si elle a commencé, ainsi que les apparences me l’annoncent, c’est à mon tour d’agir. — (Haut.) Que fait là votre majesté ?

le roi.

Je songe à mourir, Wolsey. — Non, l’enfer tout entier, avec ses tourments et ses gémissements, ne souffre pas une peine égale à celle que j’endure. Une flamme dévorante consume mon cœur. Ô ciel ! je succombe !… Ce n’est point le feu de l’amour qui me brûle, — c’est je ne sais quel affreux démon qui a pénétré en moi.

wolsey.

Calmez-vous.

le roi.

Demandez plutôt à la fortune d’être constante, à la lune de ne point changer, à la mer de ne pas soulever des tempêtes… car je suis amoureux d’Anne de Boleyn. — Et voulez-vous savoir jusqu’où va ma passion ? Voulez-vous que je vous apprenne d’un seul mot ma folie et mes souffrances ?… si j’étais libre je l’épouserais. Et bien que je ne le sois pas, je ne puis répondre de ce que je ferai, car ma raison a disparu.

wolsey.

Sire… (À part.) Courage, Wolsey, voici l’occasion ! (Haut.) Sire, une peine aussi cruelle exige un prompt remède. La vie d’un roi l’emporte à mes yeux sur le respect dû à sa majesté.