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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

le roi.

Quelle est, dites-moi, cette femme qui vient de sortir de cette salle ?

wolsey.

Ce sera sans doute une illusion produite par le sommeil, car personne n’a pénétré jusqu’ici. — Veuillez, sire, me conter ce que vous avez songé.

le roi.

Hélas ! cardinal, écoutez, et vous verrez quelle est ma peine. — Vous savez, et cependant force m’est de vous le redire, — comment moi, Henri VIII d’Angleterre, fils du roi Henri VII, je possède, par suite de la mort d’Arthur, le souverain diadème, et comment, en conséquence de ce funeste événement, j’ai hérité, non pas seulement de deux couronnes, mais encore de la plus belle et de la plus catholique reine qu’ait jamais eue l’Angleterre depuis l’époque où son noble peuple devint la colonne de l’Église militante. Car madame Catherine, cette sainte fille des rois catholiques, nouveaux soleils de la terre, avait épousé mon frère Arthur, lequel, soit à cause de son jeune âge, soit à cause de sa faible santé, ou pour d’autres motifs qu’on ignore, ne consomma point le mariage ; et ainsi, à la mort du prince de Galles, la reine demeura tout à la fois veuve et demoiselle. Alors les Anglais et les Espagnols, voyant leurs espérances trompées et la paix compromise, afin de maintenir l’alliance des deux royaumes, résolurent, d’après l’avis des hommes les plus sages, de me faire épouser la princesse ; et, attentif à la commune utilité, le pape Jules II accorda les dispenses, car tout est possible au vicaire de Dieu en son Église. Or, de cette union fortunée est sortie, pour notre bonheur, l’infante Marie, étoile de ce ciel, rayon de cet astre, que l’on va reconnaître comme princesse de Galles et ma légitime héritière… Je vous ai rappelé cela pour montrer avec quelle soumission on accueille en Angleterre tout ce qui tient à la foi, car la dispense du pape y est regardée et approuvée comme un acte légitime de sagesse et de sainteté ; — et l’univers a vu avec quel empressement je suis moi-même toujours prêt à défendre notre religion de mon génie et de ma puissance. — Donc, en ce moment que Mars se repose sur ses armes sanglantes, moi je veille sur les livres, occupé d’une apologie des sept sacrements, avec laquelle j’espère confondre les erreurs qu’à répandues Luther ; car je m’attache à réfuter les folies que contient son ouvrage sur la captivité de Babylone, peste et poison de notre siècle. Or, tout à l’heure j’étais à écrire… Écoutez moi bien, car ici commence le plus étonnant prodige, la plus épouvantable horreur que l’imagination ait jamais conçue dans les ténèbres du sommeil… J’étais donc à écrire, — c’était, hélas ! précisément sur le sacrement du mariage, — et l’esprit fatigué, la tête appesantie, je venais de m’abandonner au sommeil, lorsque j’ai vu par cette porte entrer une femme. — Ici je sens