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JOURNÉE III, SCÈNE IV.


LE ROI et SÉLIM paraissent sur les remparts.
le roi.

Que veux-tu, vaillant jeune homme ?

alphonse.

Que tu remettes en mes mains l’infant, le grand maître don Fernand ; et je te donnerai pour rançon Tarudant et Fénix, que tu vois ici mes prisonniers. Choisis : la mort de Fénix, ou la liberté de l’infant.

le roi, à part.

Que faire ?… Affreuse situation ! Fernand est mort, et ma fille est au pouvoir d’Alphonse. Ô caprices de la fortune, où m’avez-vous réduit ?

fénix.

Eh quoi ! seigneur, vous voyez ma personne dans cet état, ma vie et mon honneur dans ce péril, et vous hésitez sur votre réponse ! vous avez un si faible désir de ma délivrance que vous puissiez la retarder même un moment ! Ma vie dépend de vous, et nous permettez que je demeure chargée de fers !… et vous pouvez sans être attendri prêter l’oreille à mes gémissements !… Vous n’êtes ni père ni roi ; vous êtes le bourreau de votre sang.

le roi.

Fénix, si j’ai tardé à répondre, ce n’est pas que j’aie hésité à vous rendre la vie lorsque votre mort va entraîner la mienne. Mais il est temps de parler. — Apprenez, Alphonse, qu’hier, au moment où Fénix sortit de la ville, le soleil et l’infant terminèrent leur course à la même heure, l’un dans les ondes de l’Océan, l’autre dans la nuit du tombeau. Cet humble cercueil renferme tout ce qui reste de lui. Donnez la mort à la belle Fénix ; vengez votre sang sur le mien.

fénix.

Ô ciel ! ainsi pour moi plus d’espérance !

le roi.

Ainsi pour moi tout est fini !

don henri.

Grand Dieu ! qu’ai je entendu ? nous l’avons délivré trop tard.

alphonse, à Henri.

Ne parlez pas de la sorte. Si l’ombre de Fernand nous a dit de le tirer d’esclavage, c’est sa dépouille mortelle qu’il a voulu désigner, c’est elle qui, d’après ses paroles, doit obtenir un temple en récompense de tous ceux qu’il a fondés ; et il faut que l’échange se fasse. (Au Roi.) Roi de Fez, ne va pas croire dans ton orgueil que Fernand mort ait moins de prix que cette jeune beauté ; je le la rends en échange de ses restes mortels. Envoie-moi donc la neige en échange des fleurs, l’hiver en échange du printemps, et enfin un malheureux cadavre en retour d’une beauté charmante.