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LE PRINCE CONSTANT.

l’homme ne naît que pour mourir ? Dans cet abîme de confusion, il périrait par la seule infirmité de sa nature. — Homme, sois toujours prêt pour l’éternité qui l’attend, et ne tarde pas jusqu’à ce que les infirmités t’avertissent, car tu es à toi-même la plus grande infirmité : l’homme, tout le temps que dure son existence, marche sur cette terre d’où il est sorti, et à chaque pas il foule sous son pied sa sépulture. Loi triste, cruelle sentence ! mais dans tous les temps et partout, chacun de nos mouvements nous rapproche de la tombe — Amis, je touche à ma fin ; emportez-moi dans vos bras.

don juan.

Hélas ! devais-je vous rendre un si pénible office !

don fernand.

J’ai une prière à vous adresser, noble don Juan. Aussitôt que j’aurai rendu le dernier soupir, revêtez-moi du manteau de mon ordre, que vous trouverez dans mon cachot, et vous m’ensevelirez ainsi, la face découverte, si le roi veut bien adoucir sa rigueur, et m’accorder la sépulture. Vous marquerez la place où mon corps reposera ; car, bien que je meure captif, j’espère qu’un jour, racheté, j’aurai part aux suffrages de l’autel… Ô mon Dieu ! je vous ai donné tant d’églises, que vous ne m’en refuserez pas une pour mon dernier asile.

Don Juan et Brito l’emportent.

Scène III.

Le rivage de la mer.
Entrent LE ROI DON ALPHONSE, L’INFANT DON HENRI et des Soldats armés d’arquebuses.
alphonse.

Laissez sur les flots inconstants les vaisseaux que la mer soulève de ses vagues écumantes pour épouvanter le ciel ; et que chacun de mes navires, comme le fameux cheval fabriqué par les Grecs, jette sur ces bords tous les hommes qu’il recèle dans son sein.

don henri.

Seigneur, vous n’avez pas voulu que nos troupes débarquassent sur le rivage de Fez. Vous avez préféré que ce fût sur ce point, et ce choix nous sera funeste. Une armée nombreuse s’avance de ce côté ; la rapidité de sa marche ébranle l’air, et ses masses semblent élever encore les sommets de ces collines. Tarudant vient avec toutes ses troupes, conduisant de Fez à Maroc son épouse, l’heureuse princesse de Fez. Le bruit des échos suffit pour vous en avertir.

alphonse.

Henri, c’est précisément pour cela que je suis venu l’attendre à ce passage. Ce n’est point au hasard que je me suis déterminé : la réflexion a conduit mon choix. Si j’eusse débarqué à Fez, nous y