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LE PRINCE CONSTANT.

don fernand.

Je ne leur savais pas cette propriété.

fénix.

Écoute, et tu l’apprendras.

don fernand.

Parlez.

fénix.

Ces traits de lumière, ces brillantes étincelles dont la puissante influence s’alimente de la splendeur du soleil, se font connaître parce qu’elles font redouter leur pouvoir… Ce sont les fleurs de la nuit. Quelle que soit leur beauté, leur flamme est passagère : car si un jour est un siècle pour les fleurs, une nuit est l’âge des étoiles… Et pourtant, dans la courte saison de notre vie, c’est à elles que se trouve attaché ou notre bien ou notre mal, c’est d’elles que dépend notre destinée… Sur quoi de durable l’homme peut-il donc compter, et quels changements ne doit-il pas attendre d’un astre qui naît et meurt dans l’espace d’une nuit[1] ?

Elle sort avec ses femmes.


Entre MULEY.
muley.

J’avais attendu en cet endroit que Fénix s’éloignât. L’aigle le plus épris du soleil évite parfois sa lumière. Sommes-nous seuls ?

don fernand.

Oui.

muley.

Écoutez-moi.

don fernand.

Que voulez-vous, noble Muley ?

muley.

Vous apprendre qu’il y a aussi dans le cœur d’un More de la foi et de la loyauté. Je ne sais par où commencer ; je ne sais si je dois vous dire combien j’ai été affligé en voyant cette inconstance cruelle de votre destinée, ce fatal exemple des caprices de la fortune. Mais je crains qu’on ne nous surprenne dans cet entretien, car c’est la volonté du roi qu’on n’ait pas plus d’égards pour vous que pour les autres. Ainsi, laissant parler à ma place ma douleur, — laquelle s’expliquera bien mieux, — je viens me jeter à vos pieds… je suis votre esclave, infant ; je ne vous offre point mes bienfaits, je veux seulement m’acquitter d’une dette que j’ai contractée. Cette vie que je vous dois, je viens à mon tour vous la donner ; car le bien qu’on a fait est un trésor qu’on retrouve dans le besoin… Et comme la crainte m’enchaîne, comme le cordon et le cimeterre menacent mon cou et ma poitrine, je veux, abrégeant ce discours, m’expliquer d’un mot. — Cette nuit j’aurai dans le

  1. Encore un sonnet.