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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

béatrix.

Tout beau ! s’il vous plaît. Que je ne vous dérange pas. Oh ! vous ne m’abuserez pas avec votre air hypocrite. Je vous ai vu, vu de mes yeux ; et c’est le cas d’appliquer le proverbe : « Qu’un autre mette mon soulier, j’irai nu-pieds. »

elvire.

Je suis une suivante de bonne maison, et je ne me chausse pas de vieux, et surtout chez vous, ma belle, qui avez une jambe et un pied de bois.

vicente, à part.

Je suis perdu.

béatrix.

Que voulez-vous dire ? Est-ce que, par hasard, je serais la fille du corsaire Pied-de-bois[1] ?

elvire.

Il y a quelque chose comme cela.

vicente, à part.

Voilà qui va mal.

béatrix.

J’aurais déjà puni cette injure, si je ne savais bien qu’alors même que j’arracherais votre chignon vous n’en souffririez pas davantage.

vicente, à part.

Bon ! voilà l’autre.

elvire.

Est-ce que par aventure j’ai des cheveux postiches comme votre œil gauche, qui est de verre ?

béatrix.

Plaît-il ?

vicente, à part.

Je suis perdu. (Haut.) Allons, voyons, ne vous disputez pas ainsi.

elvire.

Comment donc ? Dans tous les cas je puis, moi, lui montrer les dents.

béatrix.

Je le sais bien, et en nombre ; car, bien que vous ne soyez plus un enfant, vous en avez de rechange.

elvire.

Quoi ! ces dents sont de fausses dents ?

béatrix.

Quoi ! cet œil est un œil de verre ?

elvire.

Quoi ! ces cheveux sont des cheveux d’emprunt ?

béatrix.

Quoi ! cette jambe est une jambe de bois ?

  1. Ce corsaire Pied-de-bois était probablement un corsaire d’Alger ou de Tunis, du seizième ou du dix-septième siècle.