Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.


Entrent LE ROI et le Cortége.
urrèa.

Seigneur redouté, je suis Lope de Urrèa de qui vous avez connaissance.

le roi.

C’est bien.

urrèa.

Je ne viens pas aujourd’hui vous demander la grâce que je vous ai demandée si souvent dans d’autres mémoires ; car aujourd’hui, sire, je me présente devant vous plus consolé de mes malheurs. Je vous prie seulement de vouloir bien entendre un vieillard humblement prosterné à vos pieds.

le roi.

Parlez.

urrèa.

Je me sens confus et troublé au moment de vous exposer ma douleur… Don Lope de Urrèa, mon fils, avait promis à une dame de l’épouser ; mais, ce qui m’est pénible à dire, craignant ma colère pour s’être engagé sans ma permission, il remettait chaque jour à lui donner sa main. Elle, pensant que cette conduite procédait de mépris et non de prudence et de sagesse, en rendit compte à un frère qu’elle avait ; de manière qu’un jour qu’il était chez elle, ce frère et deux de ses amis, qu’il avait amenés, l’entourèrent, voulant le tuer. Le jeune homme a du courage, et indigné de cette attaque, il se mit bravement à se battre avec tous les trois, et l’un d’eux fut tué. En pareille circonstance, il est excusable aux yeux de la loi ; puisque parmi les animaux mêmes la défense est de droit naturel… Après cela, il sortit dans la rue, où il eut le malheur de frapper un des ministres de la justice. Si par cet acte il manqua au respect qui vous est dû, songez, je vous prie, qu’il aurait été plus coupable encore s’il eût si peu estimé votre justice qu’il n’eût pas cherché à lui échapper et ne se fut pas enfui après avoir commis un délit. J’avoue, d’ailleurs, qu’il ferait mieux de servir dans vos armées que d’ajouter à sa première faute en vivant de brigandage dans la montagne ; mais vous savez aussi qu’on a toujours considéré comme un malheur, en Aragon, quand les nobles ne quittaient point la ville, là où il y avait une famille offensée… Enfin maintenant, sire, voici que la dame qui, dans cette déplorable affaire, se trouve partie à double titre, d’abord comme ayant une promesse de mariage, et ensuite comme étant la sœur du mort, a formé le projet de mener une vie meilleure et de se retirer dans un port plus paisible ; et elle a bien voulu me remettre son désistement pour les deux poursuites, sous la condition que je lui fournirais la dot nécessaire pour entrer dans un couvent. Et quoique, à vrai dire, je sois devenu si pauvre, que je me vois dans la nécessité de recourir à mes amis, je me suis dépouillé tout à l’heure du peu qui me restait, dans le but de lui