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JOURNÉE I, SCÈNE I.

don lope.

Au contraire, seigneur, j’ai idée que par cela même vous ne ferez rien pour moi ; car, puisque vous avez été l’ami de mon père, vous saurez que je l’ai offensé par mes folies, désolé par mes écarts, irrité par mes déportements, et enfin, ruiné par mon inconduite ; et dès lors, puisque vous êtes son ami, je conclus que vous ne voudrez pas être le mien. Et cependant, si je tenais à me justifier, je vous assure que cela me serait facile ; car c’est mon père lui-même qui a été la cause de mes malheurs.

don mendo.

Comment cela ?

don lope.

Voici comment.

don mendo.

Parlez, je suis impatient de vous entendre.

doña violante, à part.

Je sens renaître peu à peu le calme dans mon âme.

don lope.

Mon père, à ce que j’ai ouï conter mille fois, conçut dès sa première jeunesse, soit à raison, soit à tort, une espèce d’horreur pour le mariage ; mais, voyant que sa maison allait perdre un majorat dont la noblesse et l’illustration égalaient l’ancienneté, sur le conseil de ses proches ou peut-être par suite de ses propres réflexions, il se décida, — dans un âge déjà avancé et contre son inclination naturelle, — il se décida à s’établir. Dans ce but, il chercha une noblesse égale, une vertu irréprochable, et un honneur sans tache ; et il rencontra une personne à laquelle il soumit tellement sa volonté, qu’il ne considéra plus la différence des âges. L’épouse qu’il choisit, doña Blanca Sol de Vila, n’avait pas accompli sa quinzième année, et lui il avait déjà les cheveux tout blanchis par les ans, pareil à ces arbres que l’hiver a couronnés de neiges glacées qu’on dirait les fleurs de l’arrière-saison.

don mendo, à part.

Je le sais ; et plût au ciel que je pusse l’ignorer !… Vains souvenirs, cruelles pensées, que me voulez vous ?… (À don Lope.) Eh bien, achevez.

don lope.

Je poursuis. — Doña Blanca se refusa longtemps à cette union, pressentant peut-être combien, avec cette différence d’âge, un amour mutuel était difficile ; mais comme les femmes de haut rang n’ont jamais eu le choix d’un époux, elle fit le sacrifice de ses répugnances ; en un mot, elle fut mariée par force comme le voulurent ses parents. — Injustes et dures convenances, n’avez-vous pas souvent tué ceux qui se sont soumis à vous !… — Ainsi lui se mariant avec peu de goût pour le mariage, et elle avec peu de goût pour son mari, vous pouvez imaginer de quelles humeurs je fus formé, moi