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L’ESPRIT FOLLET.

cosme.

Vous ne diriez pas cela si vous aviez vu son pied. C’est toujours par le pied qu’ils se trahissent[1].

don manuel.

Quel miracle de grâce ! quel ange charmant !

cosme.

Sauf le pied, monseigneur.

don manuel.

Mais qu’est ceci ?… Dans quel but prend-elle mes papiers ?

cosme.

Elle veut mettre de côté probablement ceux que vous chercher ; afin de vous en éviter la peine. C’est un esprit follet rempli de complaisance.

don manuel.

Ô ciel ! que dois-je faire ?… Pour la première fois de ma vie j’ai connu la peur.

cosme.

Moi, ce n’est pas la première… ni la dernière

don manuel.

Je tremble… mon sang s’est glacé dans mes veines… Mais non, bannissons une ridicule frayeur, et voyons vive Dieu ! si par mon courage je ne triompherai pas de cet enchantement. (Il s’approche de doña Angela, et la saisit par le bras.) Ange, démon ou femme, vous ne m’échapperez pas cette fois.

angela, à part.

Hélas ! son départ était feint. Il aura sans doute appris que…

cosme.

Au nom du ciel ou de l’enfer, parlez.

angela.

Jouons notre rôle.

cosme.

Qui êtes-vous, et que nous voulez-vous ?

angela.

Généreux don Manuel, à qui Dieu promet, par ma bouche, une signalée récompense, ne me touchez pas, de grâce, ou vous perdriez le bonheur que le ciel vous réserve. Je vous ai écrit ce soir, dans mon dernier billet, que nous ne tarderions pas à nous voir, et c’est pourquoi je suis venue. Et puisque j’ai tenu ma parole, laissez-moi ; le moment n’est pas encore arrivé où je dois me confier à vous. Laissez-moi, vous dis-je, jusqu’à demain, et ne parlez à personne de ce que vous avez vu. Pour la troisième fois, laissez-moi, et allez en paix.

cosme.

Puisqu’elle nous congédie, monseigneur, qu’attendons-nous ?

  1. Le Démon, comme on sait, a le pied fourchu.