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L’ESPRIT FOLLET.

à mes sentiments, et un frein à ma folle passion ! Mais non, je n’y réussirai pas, car je ne puis rien sur moi. Je veux cependant essayer en ce moment de vaincre mes désirs.

béatrix.

Cela pourrait s’arranger aisément de façon à ce que je pusse rester sans vous compromettre. Je regretterais trop de m’éloigner sans être témoin de cette scène curieuse.

angela.

Mais encore quel est votre avis ?

don louis, à part.

De quoi donc traitent-elles toutes deux avec tant de mystère ?

béatrix.

Nous dirons que mon père m’a envoyé chercher. Tout le monde me verra sortir… et je rentrerai dans la maison sans que personne en sache rien.

don louis, à part.

Qu’est-ce donc, grand Dieu, qui les occupe ?

béatrix.

Cachée ici secrètement, je pourrai tout voir sans péril.

don louis, à part.

Ô ciel ! qu’ai-je entendu ?

béatrix.

Ce sera pour moi un grand plaisir.

angela.

Et ensuite que dirons-nous quand on nous retrouvera ici ?

béatrix.

N’ayez pas d’inquiétude. Est-ce que nous n’avons pas assez d’esprit à nous deux pour imaginer quelque prétexte ?

don louis, à part.

Vous en avez plus qu’il n’en faut. Qu’ai-je appris ? Toujours de nouvelles peines !

béatrix.

Il me tarde de contempler les effets de cette bizarre liaison… Toute la maison une fois livrée au repos, il pourra sans danger passer de son appartement dans le vôtre.

don louis, à part.

Hélas ! comment ai-je encore la force de vivre ?… Je devine maintenant son projet. Sans doute, mieux que moi, mon heureux frère la mérite : elle veut donc lui offrir l’occasion qu’il désire, et elle dispose tout pour qu’il puisse, sans bruit, passer de son appartement dans celui qu’elle habite. Moi, témoin importun, on me trompera pour m’éloigner… Mais, ô ciel ! je ne souffrirai pas qu’on se joue ainsi de mon amour… Et quand elle sera cachée, je visiterai inflexiblement toute la maison, jusqu’à ce que je l’y aie trouvée… Empêcher le bonheur d’autrui est la dernière consolation qui reste