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JOURNÉE I, SCÈNE II.

bizarre aventure ! votre défenseur est dans la maison, votre hôte est blessé !

angela.

Je l’ai soupçonné, Isabelle, en apprenant l’affaire. Mais je n’ose pas encore m’en flatter. Il serait par trop étrange qu’un cavalier à peine débarqué à Madrid eût trouvé, en arrivant, une dame qui l’eût pris pour défenseur, qu’il se fût battu pour elle avec un autre cavalier, et que le frère de celui-ci l’eût reçu dans sa maison !… Je n’y croirai pas que je ne l’aie vu.

isabelle.

Pour peu que vous en ayez envie, je sais bien le moyen de le voir.

angela.

Tu es folle… mon appartement est si éloigné du sien !

isabelle.

Il y a, — que cela ne vous effraye pas, — il y a un certain endroit à moi connu par où les deux appartements communiquent.

angela.

Je voudrais voir cela… ne serait-ce que par curiosité. En es-tu bien sûre ?

isabelle.

N’avez-vous donc pas entendu dire que votre frère a fait placer une armoire devant la porte pour la masquer ?

angela.

Je te comprends. Il serait facile, penses-tu, de pratiquer dans le bois un petit trou à travers lequel nous pourrions voir l’hôte.

isabelle.

J’imagine quelque chose qui vaut mieux encore.

angela.

Parle donc.

isabelle.

Pour masquer la porte qu’il y avait là et qui conduisait au jardin, et afin cependant qu’on pût l’ouvrir au besoin, votre frère a fait placer devant, comme je vous disais, une armoire portative. Quoique remplie d’objets de verre, on peut la mouvoir à volonté. J’en sais personnellement quelque chose : car lorsque je la dressai, et que j’y appliquai les degrés qui sont au bas, la machine se dérangea peu à peu, et à la fin, moi, l’armoire et les degrés, nous tombâmes ensemble à terre. Vous voyez par là que cette armoire ne tient pas fort bien, et il suffirait, madame, qu’on la mît un peu de côté pour pouvoir passer.

angela.

Voilà un bon avis. Mais dis-moi, Isabelle, si pour passer dans cet appartement nous n’avons qu’à enlever l’armoire, est-ce qu’on ne pourra pas en faire autant de l’autre côté ?