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LE SECRET À HAUTE VOIX.

qu’un malheureux amour vienne promener en ce lieu son aveugle jalousie… Ô mon honneur, si c’est là une faute, j’ai de quoi me justifier ; car mon père me tyrannise, celui qui prétend à ma main me poursuit, — et ma rivale me persécute… Hélas ! Frédéric tarde bien ! et l’heure se passe… que lui sera-t-il arrivé ?… Oh ! je ne dois pas craindre qu’il ait changé, malgré la déclaration de la duchesse ; il est trop fidèle et trop constant… Sans doute quelque accident imprévu le retient chez lui ; mais, hélas ! dans ma situation l’on présume plutôt le mal que le bien… car le goût le plus vif est toujours suivi de lassitude.


Entre LA DUCHESSE.
la duchesse.

Fabio m’a dit que son maître lui avait ordonné de l’attendre sur le pont près du parc, et j’ai conclu de là que la dame de Frédéric devait habiter le palais… Laura s’est retirée de si bonne heure, que je n’ai pu la charger de descendre au jardin ; et ne pouvant me fier à aucune autre de mes dames, je suis venue moi-même ; et ainsi Arnesto et moi nous travaillons, chacun de notre côté, à empêcher ce rendez-vous… Mais que vois-je ! si la tremblante lumière des étoiles qui se joue entre ces bosquets ne me trompe pas, j’aperçois un corps qui se meut, — et mon espoir se réalise. (Haut.) Qui va là ?

laura, à part.

Ciel ! c’est la duchesse ! que mon intelligence me soit en aide ! (Haut.) C’est quelqu’un qui attend ici parce que la duchesse lui a ordonné de venir afin de voir, s’il est possible, qui, la nuit, l’outrage et l’offense.

la duchesse.

Ne parlez pas si haut, Laura.

laura.

Qui est-ce ?

la duchesse.

C’est moi.

laura.

Vous, madame, seule au jardin, à cette heure ?

la duchesse.

Oui, c’est moi.

laura.

Je l’ignorais.

la duchesse.

Comme j’avais oublié ce matin de vous dire de descendre, j’ai voulu venir moi-même.

laura.

C’eût été me faire injure, madame. Je n’ai pas besoin qu’on me répète tous les jours ce qu’on m’a dit une fois. En outre, il est un autre motif qui m’a forcée à descendre.