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LE SECRET À HAUTE VOIX.

henri.

Je vous la donne ; et comptez que si vous imprimez votre secret sur la cire, il sera conservé par le marbre.

frédéric.

Vous savez déjà, illustre Henri de Gonzague, noble duc de Mantoue, que j’aime une beauté de cette cour. Eh bien, cette merveille humaine, ce prodige divin me donne aujourd’hui la plus haute preuve de constance et de tendresse. Cette lettre que vous voyez, et que le vent sans doute a portée dans mes mains, — car elle doit être descendue du haut du ciel dans l’abîme de mes misères, — cette lettre m’annonce ma liberté. Mais non, je m’exprime mal ; elle m’annonce plutôt mon esclavage : car à compter du moment où je l’ai reçue, je veux éternellement vivre esclave d’un amour qui m’a imposé des chaînes que le temps même ne pourra ni briser ni détacher. Cette lettre me dit… Mais il vaut mieux la lire. Vous apprécierez mieux ainsi, et le dévouement qu’on me porte, et l’amour que je ressens (Il lit.) « Mon bien, mon seigneur, mon maître, la fortune se déclare de plus en plus contre nous. Prévenons ses coups funestes. Veuillez tenir prêts deux chevaux pour cette nuit, du côté du pont, entre le parc et le palais. Je sortirai à votre signal, et nous fuirons la jalousie qui nous persécute, si toutefois l’on peut fuir la jalousie. Adieu, que le ciel vous garde à jamais ! » Voilà ce que l’on m’écrit, très-noble seigneur, et je me suis confié à vous, comptant sur vos bontés. Si vous vous êtes adressé à moi pour votre amour, et que je m’adresse à vous pour protéger le mien, il est clair que je recouvre alors ce que vous me devez, ou que je vous paye ce que je vous dois. Je vous prie donc de me donner une lettre pour Mantoue, et de prendre ma défense jusqu’à ce que j’aie mis cette dame en sûreté.

henri.

Je suis heureux que le ciel m’ait fourni l’occasion de reconnaître ce que vous avez fait pour moi ; et non-seulement je vous accorde ce que vous me demandez, mais en outre je serai charmé de vous accompagner moi-même jusqu’à ce que vous ayez gagné la frontière de mes États, où je m’estimerai glorieux de vous posséder.

frédéric.

Je ne songe, seigneur, qu’à une courte absence ; et, s’il faut tout vous dire, votre altesse me sera plus utile à Parme, où elle défendrait, au besoin, mon honneur attaqué.

henri.

Je ferai tout ce que vous voudrez.

frédéric.

Eh bien, veuillez, je vous prie, m’écrire une lettre, tandis que je vais, comme à l’ordinaire, au palais, afin qu’on ne soupçonne