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JOURNÉE II, SCÈNE III.

grand renom, dont l’un se nomme Agéré, et l’autre Macarandon. Or, un seul curé desservait les deux paroisses, et, les jours de fête, disait la messe aux deux endroits. Or, un habitant de Macarandon étant allé à Agéré, et ayant entendu chanter la préface, remarqua que ce jour-là le curé avait prononcé à haute voix gratias agere, et qu’il n’en avait pas fait autant à Macarandon[1]. Très-mécontent de cela, il dit au curé : Vous donnez les grâces à Agéré comme si chez nous on ne vous avait pas payé la dime. » En entendant une observation si juste, les nobles macarandoniens supprimèrent les offrandes au curé. Or, le curé voyant cela, en demanda la cause au sacristain ; celui-ci lui dit pourquoi ; et à partir de ce jour, chaque fois qu’il entonnait la préface, le curé ne manquait plus de chanter d’une voix claire et puissante : « Nos tibi semper, et ubique gratias à Macarandon. » Si donc, monseigneur, vous desservez deux paroisses à l’Amour, ce dieu aveugle, remplissez bien vos devoirs des deux côtés, et vous verrez qu’avant peu vous et moi nous aurons en quantité des offrandes et des régals, parce que vous aurez chanté à Flérida ce que vous chantez à Macarandon.

frédéric.

T’imagines-tu que je t’écoute ?

fabio.

Pourquoi pas ?

frédéric.

Je ne pense qu’à mes ennuis.

fabio.

Puisque pour Agéré vous dédaignez Macarandon, je crains bien qu’on ne vous supprime là-bas le pain bénit d’amour.

Ils sortent.

Scène III.

Un salon dans le palais.
Entrent LA DUCHESSE, LAURA, LIBIA, et FLORA qui porte des flambeaux.
la duchesse.

Laissez les flambeaux, et allez-vous-en toutes. Je ne veux pas de compagnie. J’ai déjà trop de la mienne.

libia, bas, à Flora.

Quelle bizarre tristesse !

flora, de même.

C’est plus que de la tristesse, c’est de la folie.

  1. Allusion à ce passage de la messe que le poëte rappelle plus loin : « Nos tibi semper et ubique gratias agere, etc., etc. » Ce petit conte, plein de gaîeté et de finesse, est encore plus piquant dans l’original, à cause de la ressemblance de quelques mots espagnols avec d’autres mots du texte latin.