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LE SECRET À HAUTE VOIX.

colère, je ne vous en détournerais pas, — tant je souhaite votre repos, — si je pensais que ce fût là le meilleur parti.

frédéric.

Eh bien, dans le trouble où je suis, conseillez-moi. Que feriez-vous ?

henri.

Je me tairais, je resterais tranquille ; je voudrais d’abord la voir venir, et puis j’agirais en conséquence. Car elle est instruite ou non de ce qui s’est passé. Si elle le sait, et que sa modestie l’empêche de vous en rien dire, n’est-ce pas travailler contre vous-même que d’aller lui parler de cela lorsqu’elle veut l’ignorer ? Si elle ne le sait pas, ce serait travailler contre nous deux, ce serait lui apprendre vous-même ce qu’un autre n’a pu lui dire. Ainsi donc, moi, à votre place, je traiterais de mon mieux mon valet, afin que s’il n’a pas parlé, il ne dise rien plus tard, et que s’il a parlé il n’aille pas se plaindre à elle et la mettre dans la nécessité de se déclarer.

frédéric.

Bien que ce ne soit pas là mon avis, je suivrai le vôtre, ne serait-ce que pour qu’on ne puisse pas m’accuser de m’être perdu par un fol entêtement. Je reprendrai mon valet et je parlerai à la duchesse sans me justifier, jusqu’à ce qu’elle s’explique avec moi.

Il sort.
henri.

C’est moi qui hérite à mon tour de l’incertitude où il était ; il s’éloigne et me laisse… Je suis venu en ces lieux seulement pour voir la belle Flerida, ne pensant pas que je pourrais m’y oublier, et voilà que je reste à sa cour sous un nom et sous des vêtements qui ne sont pas les miens. N’ai-je pas à craindre d’être reconnu d’un moment à l’autre et que cette aventure ne porte atteinte à sa considération ? Puisqu’en venant ici mon intention était de voir tout par moi-même, qu’attends-je encore ? ou pourquoi tardé-je à réaliser mon projet ?


Entre LA DUCHESSE.
la duchesse, à part.

Aveugle et tyrannique passion, pourquoi me conduis-tu encore en ce lieu ?… (À Henri.) Que faites-vous là, seigneur ?

henri.

Hélas ! noble et illustre madame, j’exprimais à ces fleurs et à ces fontaines, dont vous êtes l’aurore, les plaintes de l’amour.

la duchesse.

Pourquoi cela ?

henri.

C’est qu’en vous voyant, divinité charmante, tout tuer autour de vous par l’éclat de vos rayons qui égale celui du soleil, et par vos flèches qui ne sont pas moins dangereuses que celles de l’amour.