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JOURNÉE II, SCÈNE II.

Mais, hélas ! l’avertir de prendre garde, ce sera lui apprendre que la duchesse est jalouse ; et il n’est pas prudent d’apprendre à l’amant le plus fidèle qu’il y a une autre femme qui l’aime ; car alors l’homme le plus modeste conçoit tant de vanité, que tout ce qu’on lui accorde ensuite devient à ses yeux chose due. Mais n’importe, ô ciel ! il vaut encore mieux qu’il sache et les espions qui l’entourent et les dangers qui le menacent… Pour l’avertir, repassons cette espèce de chiffre qu’il m’envoie, et que je dois connaître au mieux. (Elle tire un papier de son sein, et lit :) « Toutes les fois, madame, que vous aurez quelque chose à me dire, je vous prierai d’abord de me faire signe avec votre mouchoir, afin que je prête attention. Puis, sur quelque sujet que vous parliez, les premiers mots dont vous vous servirez chaque fois que vous prendrez la parole, seront pour moi, et le reste pour tout le monde ; de manière que je puisse réunir tous les premiers mots dont vous vous serez servie, et savoir ce que vous m’aurez dit. Il en sera de même lorsque moi je vous ferai le signal. » (Parlant.) Ce chiffre est facile et ingénieux ; mais la difficulté est de l’employer de telle sorte que ce que l’on dit ait un sens raisonnable pour toutes les personnes là présentes. Pour mieux m’en pénétrer, je vais le relire.


Entre LISARDO.
lisardo, à part.

Laura est si fort occupée à lire ce papier, que si les indignes soupçons de la jalousie ne peuvent l’atteindre, la curiosité n’en est pas moins très-vivement excitée, et je désirerais bien savoir ce qui l’absorbe à ce point. Oh ! si je pouvais lire ce papier sans qu’elle me vît !

laura.

Qui vient là ?

lisardo.

C’est moi, Laura.

laura, à part.

Grand Dieu !

lisardo.

Pourquoi ce trouble et cette crainte ?

laura.

Je ne suis point troublée et je ne crains rien.

lisardo.

Ce papier que vous cachez et cette rougeur subite qui vous est montée au visage le feraient croire.

laura.

Vous êtes dans l’erreur. Si j’ai caché ce papier et si la rougeur m’est venue, ce n’est nullement un effet du trouble où votre présence m’aurait mise, c’est par suite du dépit que j’éprouve en voyant un manque de confiance aussi injurieux. Vous étiez venu m’espion-