Ce n’est rien, ma chère, que des façons de grande dame. Elle a une mélancolie qui la rend capricieuse au dernier point et la fait changer d’avis à toutes les minutes. Si vous ne voulez pas lui déplaire, écoutez, voyez et taisez-vous.
Hélas ! j’en entends et j’en vois assez, et j’en ai bien assez à taire. Espérance insensée, pourquoi donc me vouloir follement persuader qu’ici, loin de ma patrie, de ma maison et de mon père, je puis cesser de craindre le malheur ? Le mal est si près de moi que je ne dois pas espérer que don Carlos se désabuse à temps ; et mon espérance est si éloignée, que je ne dois pas me confier à l’avenir incertain. Il n’avait que trop raison, cet infortuné, qui, souffrant du même mal que moi, disait : « Malheureux est celui qui se confie au temps pour la guérison de ses maux ; car si le remède est infaillible, il est fort lent ; il est si lent, que d’ordinaire, avant qu’il ait produit son effet, le malade a cessé de vivre. » J’ai peine à contenir ma douleur. Qui jamais s’est vu dans une situation plus déplorable ? et cependant ai-je donné à la fortune aucun sujet de me persécuter ?
Isabelle, que fait ma sœur ?
Elle est dans son appartement, seigneur.
Alors je vous adresserai une autre question : Que faisiez-vous là toute seule, belle Léonor ?
Ce que je fais toujours, je me plaignais de ma destinée. Avez-vous vu don Carlos ?
Oui ; il n’eût pas été convenable qu’il partît sans que je le visse.
Quoi ! déjà ! il est parti ?
Oui, Léonor.
Et je ne l’ai pas vu !… Ah ! il a bien peu d’égards pour moi !
Allons, Léonor, ne vous laissez pas aller à de nouveaux chagrins. Vous êtes désormais placée sous ma protection, et vous avez en moi un homme dévoué, qui, pour vous, exposerait au besoin sa vie et son honneur.