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LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS CERTAIN.

don juan.

Hier vous veniez de sortir… vous n’aviez pas voulu passer la nuit chez moi, et je n’avais pas cru devoir vous presser… vous aviez également refusé l’offre que je vous faisais de vous accompagner. Bref, après votre départ, voulant me retirer, j’avais examiné toutes les portes de ma maison, par l’effet d’une vieille habitude et sans avoir aucun soupçon ; je venais de rentrer dans ma chambre, et agité par les événemens de la journée, je ne pouvais m’endormir : toute sorte d’imaginations se présentaient à moi, et à peine fermais-je les yeux que le sommeil aussitôt s’enfuyait. J’étais depuis quelque temps dans cet état, lorsque, — je frémis de le dire, — j’entends ouvrir une fenêtre d’une pièce qui donne sur la rue. Pensant d’abord que c’était quelque servante de la maison qui voulait causer, j’entr’ouvris sans bruit ma fenêtre pour voir qui c’était. Je me proposais, si j’entendais quelque chose qui me la fit distinguer, de remédier au mal sans faire aucun éclat. Personne n’était dans la rue, et, désabusé, chassant au loin mes vains soupçons, je me figurais déjà que le bruit que j’avais entendu, c’était le vent qui l’avait occasionné. Mais avec quelle facilité s’évanouit l’espoir du bien qu’on imagine ! Au même instant je vis un homme qui descendait par le balcon. Je courus me saisir d’une arquebuse. Mais a peine de retour à la fenêtre, j’aperçus cet homme et un autre qui disparaissaient au détour de la rue. En même temps on referma la fenêtre, afin, sans doute, qu’il ne me restât point cette vaine consolation que ce pouvait être des voleurs ; et je dus être bien convaincu que la personne qui refermait la croisée était la complice de ceux qui avaient fui. Je voulus m’élancer après eux ; mais je reconnus bientôt que cela ne me servirait à rien ! ils couraient de toutes leurs forces, et avaient de l’avance sur moi. Il ne me restait donc plus qu’à tâcher de savoir laquelle des femmes de la maison serait éveillée et debout à cette heure indue ; pour cela j’ouvris la porte de mon appartement. Mais, par malheur, celui de ma sœur était fermé. Je n’avais donc plus rien à faire : car en frappant, toutes les femmes se seraient émues à la fois ; j’aurais pu soupçonner la plus innocente, et la coupable se serait mise pour une autre fois sur ses gardes. Il n’est pas de plus grande imprudence à un homme offensé que de révéler l’outrage qu’il a reçu lorsqu’il n’est pas en état d’en tirer satisfaction. Aussi je ne changerai rien dans ma maison, ni dans ma manière d’être ; on me verra tel qu’on m’a vu jusqu’à présent ; et je saurai dissimuler mes inquiétudes et mes soupçons. Mais pour atteindre mon but, il me faudrait un ami sûr qui pût veiller au dehors si je suis chez moi ; ou chez moi, si je viens à sortir. Puis donc que je suis forcé de me confier à un autre, à qui pourrais-je mieux m’adresser qu’à vous, qui, comme je le disais, êtes la moitié de mon âme, et qui en qualité d’ami et de parent devez prendre tant de part à ce qui m’arrive ? Veuillez écouter mon projet. J’ai