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JOURNÉE II, SCÈNE II.

ces étranges aventures ? Il est des momens où il me semble que ce sont autant de rêves. — Mais qui croira qu’il se soit trouvé une femme aussi constante que la princesse Marguerite ? N’est-ce pas à tort que l’on accuse les femmes d’inconstance ?… Médisans vains et légers, dont la langue maudite parle mal des femmes, venez, venez ici, soyez témoin d’un tel amour !… Pour moi, je suis curieux de voir jusqu’où va le dévouement d’une tendresse si noble et si généreuse. Elle pense que je suis le prisonnier ; il faut donc qu’elle me trouve dans la prison. Faisons cette épreuve, et voyons quel est son projet. — Voici la tour. (Appelant.) Roberto ?


Entre ROBERTO.
roberto.

Ah ! seigneur, est-il possible enfin que je vous voie, que je vous parle ?

frédéric.

Oui, la fortune l’a permis. — Que faisais-tu là ?

roberto.

J’étais là avec ce grossier animal que l’on a renfermé dans la tour en votre lieu et place. Jamais je n’ai rien vu de plus stupide. Il dit que tout ce qu’il voit ce sont des rêves.

frédéric.

Et il n’a pas tort.

roberto.

Et en même temps il se figure qu’il est un prince, lui un manant, un rustre !

frédéric.

Qu’importe, Roberto ? qu’importe ce qu’il est effectivement, pour qu’il ait de la vanité de ce qu’il croit être ? Pour les hommes, les honneurs, les grandeurs ne consistent pas dans la réalité du titre, mais dans l’opinion des autres.

roberto.

C’est qu’encore il s’avise de me commander ! Fort bien ; je lui obéirai tant que nous serons devant du monde ; mais une fois nous deux seuls, c’est moi qui commanderai à mon tour !

frédéric.

Laissons là ces folies.

roberto.

Oh ! quand nous serons seuls, je prendrai ma revanche.

frédéric.

Que fait-il en ce moment ?

roberto.

Il ronfle comme quatre. Il voulait se coucher ; mais en voyant le lit si riche et si élégant, il a été saisi d’une sorte de respect, et il s’est mis à dormir par terre.