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AIMER APRÈS LA MORT.

une voix, du dehors.

Avant qu’il entre dans la ville, tirez-lui un coup de fusil.


Entrent DES SOLDATS.
don alvar.

Vous n’êtes pas encore assez pour m’effrayer !… Enveloppez-moi si vous pouvez.

un soldat.

Courons après lui.

lidora.

Tuzani, mon frère, arrête !

don alvar.

Lidora, tous ces gens-là me poursuivent.

lidora.

Ne crains rien.

don juan, du dehors.

Suivez-le dans ses bois, et n’y laissez pas un arbre, une branche, que vous ne l’ayez trouvé.

lidora.

Généreux don Juan d’Autriche, fils de l’aigle généreux qui regarde face à face le soleil, toutes ces montagnes où jusqu’ici le désespoir d’un prince courageux a trompé ta valeur, une femme, si tu veux l’écouter, va les mettre à tes pieds. Je suis doña Isabelle Tuzani, qui, opprimée par la violence, ai vécu dans l’Alpujarra, musulmane en apparence, mais catholique dans le cœur ; je suis l’épouse, ou, pour mieux dire la veuve d’Aben-Huméya, dont la mort déplorable vient d’ensanglanter la couronne et les armes. — Sachant que tu accordais une amnistie générale, les Morisques voulurent se rendre ; car telle est l’inconstance des hommes, que ce qu’ils ont le plus fortement désiré la veille ils sont toujours prêts à l’abandonner le lendemain. Mais comme Aben Huméya persistait dans son entreprise et gourmandait leur faiblesse, la compagnie de ses gardes entra dans son palais, s’empara des portes, et le capitaine pénétra jusque dans la salle du trône en lui disant : « Rends-toi au roi d’Espagne. — Moi, me rendre ? » s’écria-t-il ; et au même instant, comme il saisissait son épée, un soldat, soulevant une pertuisane, l’en frappa à la tête, et du même coup le renversa sur le sol. Avec lui finirent ces exploits qui pouvaient ébranler l’Espagne, plus encore par les maux dont ils la menaçaient que par leur importance réelle. Maintenant, seigneur, si l’hommage que je te fais de la couronne d’Aben-Huméya peut mériter ton indulgence, étends, je te prie, ton pardon sur mon frère le noble Tuzani, et, prosternée à tes pieds, je serai plus fière d’être ton esclave que d’être encore reine.

don juan.

Je ne saurais, noble Isabelle, vous refuser votre demande. Que la vaillant Tuzani vive donc, et que la renommée écrive sur ses tables