Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
AIMER APRÈS LA MORT.

me connaître et sans que je vous eusse jamais rendu service, vous m’avez sauvé la vie. Une seule chose pourrait me consoler, vive Dieu ! c’est l’espoir que je ne vous serai pas inutile pour sortir de prison.

don alvar.

Dieu vous garde !

alcouzcouz, à part.

Mon homme le prisonnier être aussi celui de la querelle. Moi, ne l’avoir pas reconnu dans la mêlée.

garcès.

Soyez sans souci, cavalier. J’ai contracté envers vous une obligation sacrée, et je périrais plutôt que de vous voir puni pour un délit dont moi seul suis coupable.

don alvar.

Je m’en rapporte à votre loyauté. Mais, s’il faut tout vous dire, ce qui m’inquiète, ce n’est pas ma prison ; c’est qu’en intervenant dans votre affaire j’ai perdu l’occasion d’exécuter le dessein qui m’a conduit au camp.

le soldat.

Vous ne risquez la mort ni l’un ni l’autre. J’ai toujours entendu dire, et vous savez cela comme moi, que dans les événemens de ce genre, lorsqu’il y a plusieurs complices et qu’il n’y a qu’un homme blessé ou tué, et qu’il n’y a eu ni préméditation, ni trahison, l’on ne condamne à mort qu’un des accusés : le plus laid.

alcouzcouz, à part.

Pour avoir dit cela, lui, moi vouloir qu’il crevât.

le soldat.

Ainsi, aujourd’hui, de vous trois c’est le muet qui mourra.

alcouzcouz, à part.

Oui, cela être clair, comme si moi être plus laid que les deux autres !

garcès.

Après le service que j’ai reçu de vous, oserai-je vous demander une nouvelle grâce ?

alcouzcouz, à part.

Quelle coutume baroque de faire mourir le plus laid !

garcès.

Pourrais-je savoir à qui je dois la vie ?

don alvar.

Je ne suis qu’un soldat, et je suis venu ici en volontaire uniquement pour chercher un homme à qui j’ai à parler. Voilà ce qui m’a conduit au camp.

alcouzcouz, à part.

Le plus laid devoir mourir !

garcès.

Il me semble que je pourrais vous donner quelques renseignemens utiles. Comment s’appelle votre homme ?