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JOURNÉE II, SCÈNE II.

parole. Hélas ! au moment où l’amour me promettait la victoire la plus douce et la plus désirée, voilà encore mon espoir ajourné. Aussi dois-je me taire, car ma bouche serait impuissante à t’exprimer les sentimens qui agitent mon cœur.

clara.

Oui, mon ami, garde le silence ; il convient mieux à une situation aussi triste. Et d’ailleurs à moi-même il me serait difficile de t’entendre ; car mon esprit, préoccupé de mes chagrins, pourrait difficilement prêter son attention à tes paroles. Quelle infortune que la nôtre, puisqu’elle nous refuse, à toi de me donner, à moi d’écouter des consolations !

don alvar.

Le roi m’envoie à Gabia lorsque tu restes à Galère ; et l’amour, vaincu par l’honneur, cède en gémissant à sa puissance. Demeure donc ici, ô mon épouse ! sous la protection paternelle ; et fasse le ciel que l’ennemi qui nous menace tourne ses forces contre le pays où je vais, en respectant les lieux que tu habites !

clara.

Ainsi donc je ne te verrai plus jusqu’à la fin de cette guerre ?

don alvar.

Non pas ! je viendrai te voir toutes les nuits. Les deux places ne sont séparées que par une distance de deux lieues. Cette distance, mon amour la franchira rapidement.

clara.

Oui, je sens moi-même que des obstacles plus grands encore ne pourraient pas arrêter l’amour. Moi, chaque soir je t’attendrai sur le haut du rempart.

don alvar.

Et moi, sûr de ta tendresse, j’irai tous les soirs à l’endroit indiqué… Adieu… Mais en nous séparant, donne-moi un baiser pour gage de ta foi.

On entend un bruit de tambours.
clara.

Hélas ! voilà le tambour qui résonne de nouveau.

don alvar.

Quel contre-temps !

clara.

Quelle disgrâce !

don alvar.

Quel ennui !

clara.

Quel chagrin !

don alvar.

C’est donc là aimer ?

clara.

C’est mourir.