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JOURNÉE III, SCÈNE II.


Entre DON LOPE.
Ses vêtemens sont tout mouillés. Il tient un poignard à la main.
don lope, à part.

Hélas !

syrène.

Le voici qui vient !

léonor.

Je n’ose avancer.

don lope, à part.

Ô terre ! douce patrie de l’homme !

don juan.

Quoi ! c’est vous, don Lope ?

léonor, à part.

Mon mari !

don lope.

Oui, moi-même. (Il remet son poignard dans le fourreau.) Je ne pouvais dans mon naufrage rencontrer un meilleur port de salut. — Léonor ! mon épouse ! mon bien ! je remercie le ciel ; il me dédommage de mes peines puisque je vous revois. — (À don Juan en lui prenant la main.) Ô mon ami !

don juan.

Qu’est-ce donc ?

don lope.

Un événement déplorable. Jamais vous n’avez rien ouï d’aussi triste.

léonor.

Puisque vous vivez, seigneur, et que vous avez échappé à ce péril, ni moi ni don Juan n’accuserons la destinée.

don lope.

Voici. — Après avoir parlé au roi, je vous ai cherché, don Juan, et ne pouvant réussir à vous trouver, j’ai retenu une barque. Tandis qu’on la préparait, il est venu vers moi un élégant cavalier dont je sais à peine le nom ; — je crois pourtant qu’il s’appelle don Louis de Benavidès. — Il s’est approché en me disant qu’il était étranger et qu’il me priait d’excuser son indiscrétion ; que j’eusse la bonté de lui accorder une place auprès de moi ; qu’il désirait aller au Jardin du roi pour assister au départ des troupes… je ne pouvais décemment le refuser… Là-dessus nous passons dans la barque ; mais à peine étions-nous entrés l’un et l’autre, avant que le batelier eût eu le temps de nous rejoindre, la corde qui attachait la barque — et qui était sans doute rongée par les flots de la mer qui la battent continuellement, — s’est rompue. J’ai vainement tâché, — à force de rames, de regagner les bords ; le vent qui soufflait dans la voile nous a poussés de plus en plus au large. Par malheur, la mer était fort agitée en ce moment ; notre barque légère était tan-