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BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

doña serafina.

Mais, — bien que ce fût son ami, pourquoi vous êtes-vous adressée à lui plutôt qu’à celui que vous venez chercher ici ?

doña violante.

Parce que je rencontrai en chemin un de ses valets.

doña serafina.

Après, je vous prie ?

doña violante.

Je ne le trouvai pas ; on me dit chez lui qu’il venait au moment même de partir pour Milan. Désespérée, effrayée, comprenant tout ce que ma conduite avait de blâmable, et ne me voyant d’autre ressource que de me précipiter entièrement dans ma faute, j’obtins du valet dont je vous ai parlé qu’il me procurât une voiture, et bientôt…

doña serafina.

Mais pourquoi donc les ordres que l’on envoie de là-bas pour qu’on vous cherche disent-ils que vous êtes avec don Félix, au lieu de dire avec don César ?

doña violante.

Qui vous l’a dit ?

doña serafina.

C’est moi ; et la preuve, c’est que le prisonnier de mon père est don Félix et non pas don César.

doña violante.

Je vois, madame, que vous êtes fort préoccupée de vos chagrins. — Aussi pour abréger, et quoi qu’il en soit, je me jette à vos pieds, en espérant votre protection, non pas seulement parce que je suis une femme malheureuse, mais parce que vous êtes celle que vous êtes ; et je vous conjure d’intercéder pour moi auprès de votre père, afin qu’il daigne parler au mien, qui sans doute ne tardera pas à venir ici ; veuillez arranger les choses de manière qu’à son arrivée il me trouve déjà mariée avec don César… Maintenant, madame, je me retire pour pleurer en liberté, et pour ne pas vous attrister davantage par le récit des chagrins d’une femme infortunée.

Elle sort.
doña serafina.

Hélas ! ses peines ne sont pas plus grandes que les miennes, et je ne sais, avec cette confusion continuelle des noms de César et de Félix, laquelle de nous deux est le plus à plaindre… Mon père me disait tout à l’heure que don César, l’hôte de la maison, pourrait bien en devenir le maître, et j’étais heureuse, je me réjouissais, lorsque soudain ce bonheur s’est évanoui, et ma joie s’est changée en douleur… Mais réfléchissons. — Comment cette femme, puisque don Félix est son amant et qu’on la recherche avec lui, vient-elle prétendre que celui qu’elle aime est don César ?… et puisque c’est don César, pourquoi ne le déclare-t-elle pas lorsqu’elle voit qu’on re-