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JOURNÉE II, SCÈNE I.

don césar.

Plût à Dieu que ce fût là le motif de ma venue !

don félix.

Que s’est-il donc passé ?

don césar.

Personne ne nous écoute ?

don félix.

Personne. (À Tristan.) Mets-toi en sentinelle à la porte.

tristan.

Puisque je suis dans le secret…

don félix.

Tu sauras tout plus tard. (Tristan se retire.) Eh bien ! qu’y a-t-il ?

don césar.

La plus incroyable, la plus cruelle et la plus horrible vengeance qu’ait jamais imaginée une femme. Doña Violante, que ni ma constance ni ma peine n’avaient touchée, me donna rendez-vous dans son jardin pour m’y faire périr, comme le serpent se cache sous les fleurs… Après votre départ, je laissais croire que c’était moi qui étais parti, et ainsi se passèrent et la nuit et le jour qui suivirent… Cependant le lendemain, au moyen d’un espion que j’avais dans sa rue, j’appris le départ de son père ; et sur cette assurance, aussitôt que la nuit arriva, — nuit funeste dont je préférais les ombres au plus brillant soleil ! — je me dirigeai vers son jardin, et la, après avoir fait le signal convenu, je vis s’ouvrir devant moi toute grande sa porte perfide. En même temps, par un de ces instincts qui sont inexplicables, j’éprouvai une sorte de crainte, que je combattis, mais qui eut pour effet de me faire tenir sur mes gardes. Aussi, ayant remarqué que la voix qui me disait d’entrer n’était point celle de la suivante qui, dans mon idée, devait venir à ma rencontre, me couvrant le visage d’une petite rondache que j’avais[1], je dis : « Qui va là ? » Aussitôt, sur le soupçon que je témoignais, on me répondit par un coup de pistolet. Mais Dieu me protégeait sans doute, car il est miraculeux que l’on m’ait manqué de si près ; la balle frappa sur la rondache et la traversa de biais. Au même instant, un certain nombre de misérables m’assaillirent, et je fus bientôt obligé de reculer jusqu’au tournant de la rue, tout en me défendant. Cependant, au bruit du pistolet et au tumulte qui avait suivi, tout le voisinage s’était ému ; et tandis qu’ils fuyaient pour n’être pas reconnus, je me retirai, afin de quitter Parme sur-le-champ. Vous me demanderez sans doute pourquoi ? Le voici… Ces misérables qui m’ont attaqué si lâchement savent bien qui je suis ; mais ils ne le diront pas, j’espère, afin de ne pas révéler une si basse vengeance. Pour moi, afin de détourner les soupçons du duc

  1. La rondache (rodela) est un petit bouclier de forme ronde.