Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

tristan.

Pourvu qu’il ne se soit pas aussi chargé de nos valises ! c’est ce qui m’inquiète.

lidoro.

On les retrouvera demain. — Voici ma maison, — qui, à compter d’aujourd’hui, est la vôtre. (Appelant.) Flora ! de la lumière ! (Aux valets qui l’accompagnent.) Vous pouvez vous en retourner ; voici qu’on descend m’éclairer.

Les valets s’en vont.


Entrent DOÑA SERAFINA et FLORA.
doña serafina, à Lidoro.

Soyez le bienvenu, seigneur… On m’avait dit qu’on s’était battu près d’ici, et sachant que vous étiez par là, j’ai eu peur. Mais je croyais que vous étiez seul, et…

lidoro.

Le cavalier que vous voyez, ma fille, est le seigneur don César Farnèse, qui veut bien nous faire l’honneur de devenir notre hôte, et à qui j’ai mille obligations dont je conserverai éternellement le souvenir. Mon bonheur a voulu que je l’aie rencontré dans la rixe qui vient d’avoir lieu. Il avait pris la défense d’une dame qui avait imploré sa protection afin sans doute de n’être pas reconnue par son mari ou son père.

doña serafina.

Il y a des femmes qui sont nées pour tout brouiller, et cette aventure pourrait avoir de fâcheux résultats. (À don Félix.) Soyez le bienvenu, seigneur cavalier, dans une maison où tout s’empressera à votre service. Je réclamerai seulement votre indulgence.

tristan.

On dirait plutôt la fin d’une loa[1] que la fin d’une journée.

don félix.

Mon malheur s’est changé en bonheur, et j’étais aussi loin de m’y attendre que de le mériter.

doña serafina.

Que te semble, Flora, que mon défenseur soit devenu mon hôte ?

flora.

Je pourrais à ce propos vous raconter une histoire curieuse ; mais ce serait trop long.

don félix.

As-tu jamais vu, Tristan, une beauté plus rare et plus accomplie ?

tristan.

Très-souvent, mon seigneur, et je vous le prouverais par un conte, si c’était le moment.

  1. Une loa est le prologue qui précède les autos ou pièces sacrées. À la fin des loas, comme à la fin des comédies, le poète réclame d’ordinaire l’indulgence des spectateurs.