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JOURNÉE I, SCÈNE IV.


Entrent LE PRINCE, suivi de valets qui portent des flambeaux, et de l’autre côté LISARDO en habits de ville.
le prince.

Abaissez ces flambeaux. — Que se passe-t-il donc ici ? Comment ose-t-on poursuivre un homme jusque dans ma maison, quel que soit son crime ?

lisardo, à part.

On ne me reconnaîtra pas, maintenant que je n’ai plus mon déguisement, et ma présence fera tomber tous les soupçons.

le prince.

Eh bien ?

lidoro.

Seigneur prince d’Urbin, personne n’a plus à cœur que moi de vous servir ; mais souvent les événemens sont plus forts que nous. Cet homme a commis un délit des plus graves en manquant aux égards que l’on doit aux masques ; et ce qui le rend plus coupable encore, c’est qu’il s’agissait d’une dame qu’il aura sans doute reconnue sous son déguisement. En le poursuivant jusque sur le seuil de votre palais, je n’ai pas songé aux immunités qui l’y protégeaient ; pardonnez-le-moi, et que votre palais soit désormais pour lui un asile sacré.

don félix.

Un moment, monseigneur ; puisque mon bonheur m’a valu votre protection si précieuse, je tiens à ne point paraître coupable à vos yeux, et à vous convaincre de mon innocence. Je ne connais point cette dame, et j’ignore quels rapports l’unissent à un homme qui, à la faveur de son déguisement, voulait l’enlever par force ; et si je suis intervenu, c’est que j’ai entendu ses plaintes, et qu’elle m’a dit ensuite, avec une vive douleur, qu’elle était perdue si on la reconnaissait. Vous me croirez sans peine lorsque je vous aurai dit que je suis étranger, et lorsque vous aurez lu cette lettre que je dois donner à votre altesse.

tristan.

Et si cette lettre ne suffit pas, vous n’avez qu’à le demander à nos deux chevaux de poste, qui viennent de décamper comme deux masques.

le prince.

De qui est cette lettre ?

don félix.

Du duc de Parme.

le prince.

Je ne pouvais pas la recevoir dans un meilleur moment, et je tiens à la lire en public, afin que la vérité en ressorte plus nette et plus vive pour tout le monde. (Aux valets.) Approchez les flambeaux. (Il lit.) « Mon cousin et seigneur, comme en apprenant votre heureuse arrivée en Italie je ne me trouve pas dans un bon état