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JOURNÉE II, SCÈNE II.

lisardo.

Comment vous est-elle donc venue ?

don félix.

Ce récit vous sera peu agréable.

lisardo, à part.

Vive Dieu ! il aura suivi cette dame, et c’est d’elle et de moi qu’il est jaloux.

marcela, à part.

Que le ciel ait pitié de moi !

don félix.

Hier, je me présentai bien humblement chez ma belle ennemie, et à force de prières, de flatteries et de protestations, je parvins à l’apaiser. Mais le soir, hélas ! lorsque, joyeux et content, je retournais chez elle avec l’espoir d’être enfin dédommagé de tant de peines, des circonstances qu’il serait trop long de vous dire m’ayant forcé d’entr’ouvrir la porte d’une chambre, je vis là, à travers l’obscurité, — un homme !

lisardo, à part.

Vive le ciel ! il m’est arrivé a moi cette nuit tout le contraire.

marcela, à part.

Jésus ! Jésus !

don félix.

Malheur à moi ! Au risque d’attirer son père et de compromettre son honneur, je devais cent fois tuer cet homme… Quoiqu’il en soit, j’eus le loisir de me cacher, et je restai là quelque temps dans la pensée de le rejoindre et de voir qui il était.

lisardo.

Le savez-vous à cette heure ?

don félix.

Mon Dieu ! non. Une suivante l’avait tiré de cette chambre. Je suis sorti presque aussitôt, mais je n’ai pu rien trouver… J’ai fait sentinelle toute la matinée dans la rue jusqu’à midi, mais en vain. — Y a-t-il au monde, dites, un homme plus malheureux que moi ? Je suis jaloux et ne sais pas de qui.

lisardo, à part.

Mes craintes ne me trompaient pas. Cette dame était sa maîtresse, et l’homme caché, c’était moi. Je n’avais que trop bien deviné. Mais, supposé qu’il ignore que c’est moi qu’il a vu et que sa dame est ici, que mon absence mette fin à tout cela. Lorsque je serai éloigné, il lui sera impossible de connaître les torts de cette femme et ma trahison involontaire.

don félix.

À quoi songez-vous donc, que vous ne me répondez pas ? Vous avez l’air tout étonné !

lisardo.

Je le suis encore plus que vous ne pensez