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MAISON À DEUX PORTES.


Scène II

Une chambre
Entrent DON FÉLIX, qui achève de s’habiller, et HERRERA ; puis LISARDO et CALABAZAS.
lisardo.

Je vous baise les mains, don Félix.

don félix.

Que le ciel vous garde, Lisardo !

lisardo.

Comment ! vous êtes habillé si matin ?

don félix.

Oui, j’ai des ennuis qui ne me permettent guère de rester au lit, où je ne trouve aucun repos. Mais vous, qui vous étonnez que je sois levé à cette heure, ne m’avez-vous pas dit hier au soir que vous deviez porter un placet à Aranjuez ? Comment êtes-vous sitôt de retour à Ocaña ?

lisardo.

Nous jouons au jeu des questions et des réponses, et je réponds à votre question par la rime parfaite. Vous, ce qui vous a fait lever si matin, c’est — vos soucis ; et moi, ce qui me ramène sitôt à Ocaña, c’est — mes soucis.

don félix.

Quoi ! arrivé d’hier, et déjà des soucis aujourd’hui !

lisardo.

Hélas ! oui.

don félix.

Eh bien ! pour vous forcer à me confier les vôtres, je vais vous confier les miens. Écoutez.

calabazas, à Herrera.

Pendant qu’ils vont se défiler l’un à l’autre un long récit, auriez-vous, Herrera, quelque chose qui pût me servir à déjeuner ?

herrera.

Allons dans ma chambre, Calabazas. J’y ai toujours par précaution quelques morceaux de viandes froides. Soyons discrets.

Herrera et Calabazas sortent.
don félix.

Vous n’avez pas oublié cet heureux temps de notre vie, alors que nous étions tous deux étudians a Salamanque ; et vous vous rappelez sans doute aussi avec quel dédain, quel mépris j’insultais l’Amour, et ses flèches, et son carquois. Ah ! mon cher, je ne prévoyais pas alors que j’aurais a lutter un jour avec ce petit dieu terrible, qu’il serait mon vainqueur et qu’il se vengerait cruellement. Il a ajusté une flèche sur son arc, m’a visé au cœur et m’a blessé ; car l’amour s’amuse a blesser et ne tue pas. Cela se passa par une belle