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JOURNÉE III, SCÈNE III.

Entre CLAIRON.
clairon.

Ah ! madame, je vous retrouve enfin !

rosaura.

Eh bien ! d’où viens-tu, Clairon ?

clairon.

J’ai été enfermé dans une tour, où ma mort a été sur le tapis ; on l’a jouée aux cartes, et j’ai été assez heureux pour avoir quinola[1]. Je puis, grâce à cela, vous apprendre une nouvelle.

rosaura.

Laquelle ?

clairon.

Je sais le secret de votre naissance ; et, en effet, le seigneur Clotaldo… (On entend un bruit de tambours.) Mais quel est ce bruit ?

rosaura.

Qu’est-ce que cela peut être ?

clairon.

Une armée sort de la ville pour combattre celle du fier Sigismond.

rosaura.

Pourquoi ne suis-je pas à ses côtés ? Ne serait-ce pas une indigne lâcheté ? Marchons, et ne donnons pas au monde un scandale de plus !…

Elle sort.
voix, du dehors.

Vive notre roi !

d’autres voix.

Vive notre liberté !

clairon.

Oui, vive le roi et la liberté en même temps ! et qu’ils vivent contents tous deux ! Pour moi, quelque chose qui arrive, j’ai résolu de ne pas m’en affliger ; et me mettant à l’écart au milieu de tout ce tapage, je veux aujourd’hui, comme Néron, me moquer de tout et ne prendre nul souci… Si fait, je me soucie encore d’une chose, c’est de moi ; et, caché ici, je veux voir toute la fête ; l’endroit est favorable, la mort ne viendra pas me chercher derrière ces rochers ; je fais la figue à la mort[2].

  1. Le jeu des quinolas consiste à rassembler quatre cartes, une de chaque coureur ; et celui qui à le plus de points gagne la partie.
  2. Faire la figue, c’est montrer le pouce entre les deux doigts voisins en fermant le poing, en signe de mépris. Notre vieux Régnier a dit :
    « Faisant la figue du pédant d’Alexandre. »