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MAISON À DEUX PORTES.

cier. Ainsi donc, comment puis-je demeurer tranquille, lorsque je vois s’en aller mon soleil, mon étoile polaire et mon aimant, moi qui suis l’héliotrope, et l’aimant, et l’acier ?

marcela.

Le soleil disparaît chaque soir devant l’héliotrope, et chaque matin l’étoile du nord disparaît devant l’aimant. Et puisqu’il est permis au soleil et à l’étoile du nord de s’absenter, vous ne vous plaindrez pas, nous non plus, de mon absence ; vous vous direz, en guise de consolation, seigneur Héliotrope ou seigneur Aimant, qu’il y a la nuit pour le soleil et le jour pour l’étoile du nord. Et maintenant restez ici ; car, je vous en préviens, si vous veniez à découvrir mon secret, si vous veniez à savoir qui je suis, je ne reviendrais pas vous voir en ce lieu ci… Puisque mes folles inquiétudes qui m’ôtent le sommeil m’amènent ici pour vous voir, ayez confiance en moi, croyez-moi ; cela importe.

lisardo.

J’en appelle, madame, de votre prudence à mon désir. Supposé que ce fût une politesse de ne pas vous suivre, ce serait également une sottise ; or, considérez ce qui choque davantage d’une sottise ou d’une impolitesse ; vous verrez que c’est la sottise, car elle, elle n’a pas d’excuse. Ainsi, madame, souffrez que j’aime mieux être impoli que d’être sot — Voilà aujourd’hui la sixième matinée que je vous rencontre en ce chemin ; il y en a tout autant que je vous y rencontrai pour la première fois à la pointe du jour, vous, nymphe inconnue de ces campagnes, mystérieuse divinité de ce printemps. C’est vous qui, la première, m’avez invité à vous parler, car je n’aurais pas eu cette audace de sitôt, moi étranger dans ce pays. Vous m’avez commandé de me retrouver ici le lendemain, et certes je n’ai pas manqué à ce rendez-vous si plein de charme. Comme, malgré mes prières et mes supplications, vous n’avez jamais consenti à soulever ce voile à travers lequel je vous adore de confiance, ma loyauté s’est soumise. Mais, voyant que mon péril renaît ici tous les jours sans succès, je me résous à devoir à mon obstination ce que votre complaisance me refuse ; je me décide à vous suivre, rien ne m’en empêchera ; il faut enfin qu’aujourd’hui je vous voie, ou que je voie qui vous êtes.

marcela.

Pour aujourd’hui c’est impossible ; laissez-moi pour aujourd’hui. En retour, je vous donne ma parole que vous apprendrez avant qu’il soit peu ma demeure, et que vous pourrez m’y venir voir.

calabazas, à Sylvia.

Et vous, demoiselle suivante de cette noble demoiselle, vous pour qui mon âme court le risque de se damner, dites-moi, y a-t-il aussi quelque motif qui vous engage, vous, à vous couvrir de votre mante ?

silvia.

Je n’ai pas à vous répondre là-dessus, laquais très-curieux de