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JOURNÉE I, SCÈNE II.


Scène II.

Le vestibule du palais.
Entrent, d’un côté, ASTOLFE et des Soldats, et, de l’autre, l’Infante ESTRELLA et ses Dames.
Bruit de tambours et de trompettes.


astolfe.

À votre apparition, noble madame, les trompettes et les tambours font entendre leurs sons belliqueux, les oiseaux commencent leurs chants joyeux, et les fleurs balancent amoureusement leurs têtes charmantes. Les trompettes et les tambours vous saluent comme Pallas, les oiseaux comme l’Aurore, et comme Flore les fleurs. Et en effet vous êtes Pallas dans la guerre, Aurore pour l’éclat dont vous brillez, et Flore pour le charme dont vous embellissez le printemps ; et, outre tout cela, vous êtes la reine qui régnez sur mon âme.

estrella.

Si les paroles doivent toujours être en harmonie avec les actes, vous avez eu tort de m’adresser tous ces beaux compliments, que dément cet appareil guerrier auquel j’aurais voulu me soustraire. Toutes ces flatteries sont, à mon sens, en complet désaccord avec votre conduite. Et remarquez, je vous prie, qu’il n’appartient qu’aux bêtes sauvages, aussi perfides que cruelles, de caresser au moment où elles tuent.

astolfe.

Vous êtes bien mal instruite de mes sentiments, noble Estrella, puisque vous doutez de la sincérité de mon hommage. Veuillez m’écouter, je vous en conjure. Eustorgue, troisième du nom, roi de Pologne, étant mort, eut pour héritiers Basilio et deux filles de qui vous et moi nous sommes nés… Je ne veux point vous fatiguer à vous conter rien qui soit hors de propos… De ces deux filles, Clorilde, qui aujourd’hui repose en paix dans un séjour meilleur, était l’aînée et fut votre mère ; Recisonde, la cadette, — que Dieu conserve mille années, — se maria en Moscovie, et c’est d’elle que je suis né. Maintenant, pour venir à un autre point, Basilio, qui touche déjà à la vieillesse, après avoir toute sa vie dédaigné les plaisirs et négligé les dames pour l’étude, est devenu veuf sans enfants, et vous et moi nous prétendons lui succéder. Vous, vous dites en votre faveur que vous êtes fille de la sœur aînée ; moi, je réponds que je suis, il est vrai, le fils de la sœur cadette, mais que, comme homme, je dois être préféré. Nous avons soumis le différend à notre oncle ; il nous a répondu qu’il voulait nous réconcilier, et dans ce but il nous a invités tous deux à nous trouver aujourd’hui en ce lieu même. Voilà avec quelle intention je suis venu ici ; j’aime mieux vivre en paix avec vous que de vous faire la guerre, et il est mal à vous de me la déclarer… Oh ! veuille l’amour, ce dieu plein de sagesse, que le